mardi 3 octobre 2017

Mélenchon : le dernier des rhéteurs


Le 19 aout 1951, la ville tumultueuse de Tanger voit naître en son sein Jean Luc Mélenchon. Cette ville multiculturelle, située à l'extrême gauche du carrefour méditerranées,  transposera sa caractérisation géographique et culturelle à la position politique et idéologique à ce jeune pied noir. Le déménagement forcé de sa terre natale vers la métropole française - à la suite du divorce de ses parents - constituera une fracture qui ne se refermera jamais. Cette épisode tragique influence encore aujourd'hui son discours au sujet de l'immigration et sa dénégation systématique, et paradoxale des enjeux et des conséquences  de cette dernière sur le monde ouvrier qu'il glorifie tant.

Méloche s'adapte mal à sa vie métropolitaine. L'humidité normande, le froid jurassien, et la placidité française, mettront vite à l'épreuve sa juvénilité bouillonnante et son habitude aux chaleurs marocaines. Rapidement, face à cette adversité, le jeune Jean Luc fait abstraction de tout. Il théorise tout ce qui l'entoure tel l'explorateur d'un nouveau continent. Cette attitude le mènera tout droit à des études de philosophie dont il tirera cette faculté à l'explicitation de la vie politique. Son passage à l'université sera d'ailleurs pour lui l'occasion de développer une rhétorique marxiste encore présente  aujourd'hui dans toutes ses interventions médiatiques et parlementaires. Son parcours universitaire le conduira à une titularisation professorale. De là, il passera de la rhétorique à la pédagogie, deux notions qu'il saura si bien mêler à l'avenir en utilisant des phrases complexes et pourtant intelligibles  qui le distingueront de ses trop nombreux adversaires accoutumés au langage technocratique et monotone. Certes le marxisme le séduit, mais débattre de la défense ouvrière ne lui suffisant pas, il se dirigera promptement vers un syndicalisme pourtant déjà en pleine défaillance dès cette époque libertaire des années 70. Il tirera de cette vie politique et syndicale aussi bien ce bon réflexe expressif des manifestations et des "meetings" jauressiens - tant illustratifs de son pouvoir charismatique - que cette mauvaise et systématique réaction sectaire, si commune aux gauchistes culturels de notre temps à l'encontre de tout ce qui représente leur antagoniste.

Son passage au Parti Socialiste constituera la rampe de lancement d'une carrière aussi surprenante qu'insolente. Surprenante par la trajectoire du plus jeune député sénateur "roturier" de son époque - à la différence de bon nombre de ses collègues.  Insolente par le virage anti-unioneuropéenne à 380 degrés qu'il empruntera à l'encontre de ses camarades solfériniens, comme il les appellera, à partir du TCE de 2005. Loin de se contenter d'une dissidence parlementaire, Mélenchon saura profiter de cette scission avec ces faux socialistes pour monter de toutes mains un parti constitué...par d'aussi illusoires et contradictoires socialistes.


Le leader charismatique et son insoumise 

Mélenchon est incontestablement un leader charismatique. Ce concept, loin d'être attaché à sa seule personne, appartient à la doctrine de Max Weber selon laquelle le leader se caractérise par une "autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu [...], par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef". Dur de ne pas reconnaître dans cette définition la figure de Mélenchon notamment aux yeux de ses Insoumis. La qualité exemplaire en question correspondant certainement au charisme du personnage qu'il assoit sur un immense socle culturel et une rhétorique souvent implacable. Ancien Trotskiste, Mélenchon est passé par la phase de l'autocritique et des débats internes qui lui ont certainement donné ce goût pour le débat contradictoire. Comme le dit si bien un chroniqueur polémiste : " Les élèves de Léon sont aux communistes ce que les jésuites sont au catholicisme ; une formation de redoutables rhétoriciens qui n'ont pas leur pareil pour détruire leur adversaire dans une joute oratoire". Cette faculté du débat, nous la retrouvons également chez Marchais mais aussi bon nombres d'autres candidats charismatiques, perdants ou gagnants de la politique, et qui n'avaient pour autant pas ralliés les troupes trotskites : Mitterrand, Chevènement, J.M Lepen, Pompidou, Séguin, etc ; tous ont su, par leur verbe, galvauder les foules pour leur cause. Là où les politiques de "l'ancien monde" se distinguaient, non seulement par leur éloquence, mais aussi par leur passé héroïque et leurs actions pour la patrie, l'ensemble de nos tribuns contemporains,  Mélenchon compris , contrastent uniquement par leur maîtrise de l'art  oratoire à l'époque où règne une parole politique aseptisée et ennuyeuse. 

L'Insoumis demeure donc certainement l'un des derniers rhéteurs de son temps, celui d'une Vème République trop monarchique à son goût. Entouré par des prétendants au trône présidentiel ne parlant que par des slogans publicitaires, des chiffrages à outrance, ou un économisme de comptoir, notre plébéien revient à une narration politique se rapprochant de l'humain, des "gens" comme il le dit si souvent.  Mais cette discordance et cette notoriété n'arrangent pas son parti, la France Insoumise, habituée aux discours déconstructeurs à l'encontre du paternalisme et des traditions. En effet, la "transversalité", cachée sou le vocable de démocratie directe, est promeut tous azimuts par nos Insoumis qui ne vénèrent pas moins paradoxalement ce bon vieux Méloche, quasi figure de leader paternel à leurs yeux ébahis. Pourtant, le transversalisme est un concept managérial anglo-saxon institué dans l'organisation du travail ouvrier pour saper la solidarité encore résistante des travailleurs industriels. Le concept est simple : tout le monde est responsable de tout, tout le monde est susceptible d'être fautif, et tout le monde se dispute avec tout le monde.Tout ceci dans le but d'annihiler n'importe quel degrés de collectivisme dans le salariat. Il est étonnant qu'une organisation se prétendant aussi "marxiste" s'enorgueillit de transcrire ce concept à son organisation politique et partisane. Sans doute pour se rapprocher d'une société moderne ou le patriarcat n'est plus qu'un cadavre en bord de route et l'autorité qu'une idée nauséabonde pourfendue par nos chers pédagogistes. Restant à chercher loin de l'image d'un prolétariat encore un peut trop patriarcal, les Insoumis se sont éloignés dès leur création d'un électorat ouvrier qu'ils prétendent pourtant encore aujourd'hui défendre. Il faut dire que ce dernier est davantage sensible aux cordes du souverainisme ,et de ce que cela induirait positivement pour son emploi, qu'à l'utopisme de ces "news" socialistes. En effet, lorsque le parti de Mélenchon se retourne vers la salle de meeting, aucun prolétaire ou presque, seulement quelques syndiqués, le reste étant principalement composé d'une large classe moyenne, de petits fonctionnaires, d'enseignants, et de jeunes déçus par la mondialisation mais n'ayant pas encore compris - peut être par juvénilité - le lien incontestable et réciproque entre le progressisme et le marché qu'ils combattent (Nous renvoyons à "L'empire du moindre mal" et "Le complexe d'orphée" de Jean-Claude Michéa sur ce sujet ).


Pourrions nous sincèrement imaginer un Alexis Corbière ou une Clémentine Autain à cette place (à partir de 1:25 jusqu'à 3:10) ?

Les mélenchonistes cherchent à tempérer au maximum la figure ombrageante de Jean Luc Mélenchon. Pour ce faire, tous les moyens sont bons : le nom du parti (je suis un Insousmis, non un mélenchoniste ), le jeunisme , la parité dans le groupe parlementaire, bref, tout autant d'idées de notre monde moderne pour essayer de cacher cette dépendance manifeste de la pérennité du parti à l'égard de son chef. Pour se convaincre de cette thèse, imaginons un tant soit peu Mélenchon  ne se représentant pas à la direction du parti ou à l'élection présidentielle. On peut imaginer sans trop de difficultés la guerre partisane qu'il y aurait alors lieu  au sein de la France Insoumise. Le départ de Mélenchon du rang des Insousmis signifierait certainement le début d'une fin, celle d'un parti qui mourrait ironiquement d'un objectif qu'il a toujours cherché à respecter : l'absence d'un leader.


Un marxisme contradictoire 

On l'aura compris, Mélenchon demeure malgré lui une figure patriarcale qu'il n'assume pas publiquement. Il s'approche à cet égard davantage du "père de la Nation", que De Gaulle a cherché à inscrire dans la Constitution, que du "révolutionnaire citoyen" théorisé par nos mélenchonistes. Pourtant, même Macron, adepte du transversalisme et du managerisme comme organisations gouvernementales, essaie, sans réel succès, d'utiliser la figure paternelle pour galvauder ses troupes : "parce que je vous aime, je vous ai compris". La figure paternelle dispose d'un attrait certain pour l'homme politique. Pour tout dire, l'intelligence de Mélenchon et ses compétences de rhéteurs font penser sans hésitation au candidat traditionnel de la Vème République : un homme politique intellectuel, cultivé, et éloquent. On retrouve ici une première contradiction dans l'idéologie de Mélenchon : celle de vouloir saper une Vème République qui s'associe pourtant si bien à la stature d'un leader charismatique, qu'il incarne, et dont les marxistes se sont très bien contentés pendant longtemps ; Lénine,Staline, ou encore Mao Tsé Toung en  étant aujourd'hui les preuves funestes de cet accommodement.

Pourquoi alors cette volonté de mettre à bas cette Constitution qui lui siérait pourtant si bien ? C'est que pour Mélenchon, l'histoire de France commence en 1789. Selon lui, l'ère révolutionnaire saurait expliquer à elle seule ses visions politiques. Robespierre - auquel notre tribun se réfère souvent pour expliquer ses positions - constitue l'archétype du révolutionnaire antimonarchiste souhaitant mettre à bas la figure du Père de la Nation incarnée par le roi Bourbon. Le leader de la France Insoumise ne cherchent rien de moins lorsqu'il dit vouloir abattre "le monarque présidentiel" à la tête du Gouvernement. De même, alors que la Terreur souhaitait en finir avec l'emprise du religieux dans la société française, notre rhéteur souhaite, par une laïcité arrangée à sa sauce, soustraire le religieux de tout débat politique - niant par là, comme ses aïeuls révolutionnaires, l'essentialisme de l'individu et son influence dans le discours politique. Pour Mélenchon, l'histoire de notre République commence à la Révolution (et votre serviteur a longtemps partagé cette même opinion, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui); aucune continuité entre l'Ancien Régime et la Révolution ne saurait expliquer l'état des lieux actuel de notre régime politique. Seulement voilà, un autre personnage de grande stature avait compris, à rebours des idées de Mélenchon, la continuité historique et politique entre les temps anciens et les temps nouveaux. Ainsi de Gaulle avait-il, en remettant un monarque à la tête d'une République, prétendu par là régler un problème français datant de 200 ans, celui de la décapitation du monarque par ses propres sujets. Mais ne commettons pas l'erreur de prendre notre Mélenchon pour un anticlérical ou un révolutionnaire forcené rejetant toute autorité forte à la tête de l'Etat, aussi  paternelle et charismatique soit-elle. N'oublions pas l'attrait du personnage pour les "hommes forts" - d'autres diraient dictateurs - de l'Amérique du sud comme Hugo Chavez. Quant à ce laïcisme forcené qu'il invoque, il ne saurait cacher le fait que nous avons déjà entendu notre plébéïen admettre au travers de divers entretiens "qu'un dirigeant politique se disent inspiré par la foi dans ses décisions, [et qu'il n'avait pas] de contestations à ce sujet". Soulignons que Mélenchon, aussi surprenant soit-il, a été littéralement un enfant de chœur dans sa jeunesse. La duplicité est en tout cas de mise. La considération d'un importance de la religion dans les orientations politiques, la manière d'entretenir les brumes sur ses véritables opinions dans le débat public...cela ne nous rappelle-t-il personne ? Machiavel n'est peut être pas le dernier auteur à être présent dans la bibliothèque de notre vieux tribun...


Le leader Insoumis a fait du combat contre le grand patronat son principal cheval de bataille. Or, si Mélenchon présente une première contradiction par sa propre personnalité à l'égard de l'esprit monarchique de la Constitutoin de 1958 qu'il souhaite abattre, il en présente une seconde sur ce même sujet. Philosophe abondement marxiste, il a cherché, sous couvert d'adaptation de ce courant de pensée à notre société moderne, à en occulter les fondements doctrinaux définis par le célèbre penseur d'outre Rhin. Il en est le cas lorsque notre philosophe post-marxiste évoque le sujet de l'immigration en partant du postulat selon lequel "c'est le banquier le problème, non l'immigré". Qui dirait le contraire ? En quoi un individu étranger est-il susceptible de constituer à lui seul un problème plus global qui ne peut s'étudier qu'à une échelle systémique. Mais Mélenchon confond volontairement l'"immigré individu" avec l'"immigration système". Il semble amalgamer les deux noms pour taire toute critique sur le sujet. Il condamne la libre circulation des capitaux, des biens, et des services, sans juger celle des hommes alors que celle-ci et ces dernières sont intrinsèquement liées dans cette économie de marché qu'il prétend combattre. Allez donc proposer à un groupe international de s'installer en zone franche urbaine, exonérée de toute fiscalité locale, si il doit payer des salariés locaux dont le coût leur reviendrait au total plus cher... Mélenchon se voile la face - à notre sens volontairement - sur ce que Marx appelait "les réserves du capitalisme". Évoquant par ce terme l'immigration, Karl Marx la désignait comme un processus et  un moyen dont disposait le patronat pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. Le marché est une finalité, l'immigration, et la libre circulation qu'elle induit, un moyen. Répétons le, l'immigration, comme système, a toujours constitué un sujet de prédilection pour les marxistes. Dans son sens marxiste originel, on peut dénoncer un phénomène migratoire et son utilisation par le grand patronat sans pour autant passer pour un facho ou un quelconque "phobe". Pourtant Mélenchon est toujours frileux à aborder ce problème de face. On lui concédera qu'il prétendait combattre celle-ci par la fin du conflit syrien. C'est rapidement occulté le fait que la géopolitique n'est qu'un facteur parmi tant d'autres pour favoriser le processus migratoire. Le rôle du droit, notamment celles de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et de la réglementation de l'Union Européenne, comme uniformisateur dans la mobilité des individus est étonnamment passé sous silence par le leader Insoumis.



Le marxo-trotskisme modernisé à la sauce mélenchon est un code inversé. C'est ainsi que nous avons vu le patron de la France Insoumise s'exclamer avec fierté lors de la rentrée parlementaire qu'il y aura des "sans cravates comme il y a eu des sans culottes". Et de voir ces messieurs dames du mouvement s'afficher en costard saillant sans l’abominable attribut vestimentaire aristocrate que constitue à leurs yeux cette flèche en tissu. Pourtant, si le sansculotte représente la marque du peuple sous la période révolutionnaire, "le sans-cravate", en revanche, a été instauré par des élites capitalistes mondialisées à l'instar de Steeve Job, précurseur en la matière. Mélenchon devrait aussi davantage se référer à ses aïeuls politiques : Blum, Jaurès, Hugo, et Lamartine, revêtaient la cravate ou la tenue vestimentaire des maîtres pour offrir une dignité bourgeoise aux ouvriers. Robespierre lui n'a jamais ôté sa perruque ou son bas de soie pour représenter le peuple. Il n'y a qu'une seule culture, - y compris vestimentaire - celle des dominants, et il n'y a que par elle que l'on combat ces derniers. On combat un adversaire par ses propres armes, y compris l'immigration et la cravate.

D'abord favorable à une Europe de Maastricht, Mélenchon a vite compris l’instrumentalisation de la construction européenne au profit d'une Allemagne pratiquant dans les années 90, et par avance pour se préparer à l'instauration de la monnaie commune, un ordolibéralisme à un rythme que ses plus puissants voisins, y compris la France, ne pourront suivre dans les années 2000. Sa césure avec les lubies européennes s'est opérée au moment du référendum de 2005 lors duquel il a soutenu le non qui l'emportera. Il a rapidement compris que le peuple français, tout comme aujourd'hui, ne souhaite plus de cette Europe libérale à la sauce Merkel, rigide, et obsédée par une seule chose : l'emprise du marché sur n'importe quel pan de notre vie publique et privée. Mais notre grand Insoumis croit encore, selon son programme,  à la reconstruction de l'Union Européenne pour en faire "une Union de la Paix, de solidarité et d'écologie". Il souhaite en premier lieu "rediscuter les traités" à ses vues avant, éventuellement, d'employer le plan B, c'est à dire la sortie en pure forme de l'Union Européenne. Mais Mélenchon est suffisamment intelligent pour comprendre que la chancelière de fer allemande ne cédera jamais à la vision européenne des Insoumis. Il sait que l'Allemagne, aussi affaiblit soit-elle sur le plan géopolitique internationale,  reste très puissante à cet échelle sur le plan européen. Il conçoit parfaitement, notamment depuis la crise grecque, que la rupture avec l'ordolibéralisme allemand ne pourra se faire qu'au travers, malheureusement, d'une sécession brutale avec l'Union Européenne. Ses idées pour l'Europe sont pourtant intéressante et se rapproche étonnement des idées macroniennes sur le sujet : instauration d'un budget commun, perspective d'une Europe sociale etc. Il aura encore besoin de beaucoup de rhétorique pour cette lourde tâche. Mais cela suffira-t-il ?






dimanche 17 septembre 2017

La République jupitérienne à l'épreuve de la République gaullienne.

La République est le fruit d'une lente maturation historique prenant sa source dans les tourbillons de l'ère révolutionnaire. Les Lumières, en plus d'en construire les fondations idéologiques, affirmeront son caractère bourgeois qui jouera contre elle sous la chimérique Seconde République. Après une parenthèse monarchiste au lendemain de la guerre Franco-Allemande, elle porte enfin son masque parlementaire qui lui siéra tant durant un demi-siècle ponctué de crises politiques qui ne feront que consolider sa pérennité. Même un premier conflit mondial n'en viendra pas à bout !  Mais la rupture surviendra :  un maréchal la masquera du sombre voile de la collaboration levé plus tard par un général qui s'exclamera orgueilleusement de lui en avoir rétablit les libertés. Estimant avoir rempli sa tâche, et ne supportant pas l'idée d'être relégué à une fonction présidentielle consistant uniquement à inaugurer les chrysanthèmes, il partira en ermite à Colombey dans sa Champagne lointaine. Se soulageant rapidement de ses maux intérieurs, la Quatrième République renouera avec ses vielles -et mauvaises- habitudes institutionnelles s'illustrant alors à nouveau par une instabilité politique d'autant plus malvenue que la tardive question de la décolonisation française ne tardera pas à pointer le bout de son nez avec la guerre d'Algérie.

Cette guerre, aussi sanglante soit-elle, aidera notre Etat à se débarrasser des oripeaux d'une République parlementaire en lambeaux pour revêtir les habits neufs d'une Cinquième République présidentielle instituée par notre bon vieux Général qui sortira prudemment de sa retraite champenoise. Son outil de régence ? Une République remodelée à son image, un costard institutionnel spécialement taillé pour lui. Le discours de Bayeux, patron du costard - si l'on peut se permettre un abus de métaphores - sera la genèse d'une stabilité de nos institutions qui dure encore de nos jours. Les grandes lignes sont là : un exécutif fort et un parlementarisme rationalisé garantissant une stabilité politique autrefois mis à mal par les motions de censure d'un parlement aux prérogatives débridées. 

Les différents monarques présidentiels qui succéderont au Général sauront tirer un grand bénéfice politique de notre Constitution de 1958. Mais le costume de la République gaullienne deviendra de plus en plus large pour eux aux fils des années. Jacques Vergès nous le disait si bien à propos de Nicolas Sarkozy : "De Gaulle était un géant, nous avons aujourd'hui affaire à des nains !". Nains par la taille, les présidents le sont aujourd'hui par l'âge : notre cher chérubin président demeure le jeune successeur d'une longue histoire décliniste de la Cinquième République dont il finira certainement par achever le caractère présidentiel et partant sa propre fonction. Il faut dire que monsieur Macron fait feu de tout bois pour atteindre cette fin : il reçoit ses conseillers en bras de chemise, il chante la marseillaise à l'américaine la main sur le coeur, discourt par un sentimentalisme théâtral, et confond volontiers - mais est-ce le seul ? - Paris Match avec le Journal Officiel. Nous sommes très loin du monarque influent, discret, et majestueux de notre République gaullienne. Mais ce n'est ici que l'aspect comportemental qui ne saurait disculper le cadre institutionnel de notre République. De ce point de vue Macron n'est que l'énième exécutant d'un travail de démolition constitutionnelle et politique de notre République gaullienne commencé par Giscard et continué par ses successeurs. Aussi le jeune banquier est-il un héritier singulier : son jeunisme, son américanisation à outrance, et son caractère enjôleur,  ne seront pas pour rien dans l'abaissement de la fonction présidentielle et partant de notre République.

 Les rapports entre les différents pouvoirs se sont transformés au fil des trop nombreuses réformes constitutionnelles entreprises depuis ces cinquante dernières années. La République gaullienne n'est plus que l'ombre d'elle-même : l'exécutif s'est métamorphosé en un équipe de managers se bataillant pour obtenir la meilleure enveloppe budgétaire rétrécie par les contraintes bruxelloise alors que l'Assemblée Nationale en est revenue au temps l'Ancien Régime en se transformant en une chambre d'enregistrement des décisions d'une Union Européenne plus pressée à défendre la puissance des milieux financiers que la souveraineté des Nations. Pour voir tout ce chemin parcouru une étude comparative de ces deux Républiques, si différentes, est la plus propice des solutions. Elle permettra de mesurer l'écart culturelle, politique, et institutionnelle entre ces deux République, gaullienne et macronienne.




De la gouvernance présidentielle au management.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser au premier abord, l'esprit de la Constitution de 1958 s'inspire en grande partie de la séparation des pouvoirs afin de renforcer le pouvoir de l'exécutif et sa prépondérance sur le pouvoir législatif. Montesquieu avançait l'idée que la séparation de l'exécutif, du législatif et du judiciaire induisait tout autant de contrepouvoirs exercés les uns contre les autres pour prévenir les éventuels abus d'autorité que chacun serait en tentation d'user. C'est ce qu'il s'est progressivement passé sous la Troisième et Quatrième République où le législatif disposait quasiment d'un pouvoir de vie ou de mort sur l'exécutif grâce à la motion de censure. Le principe était simple, le gouvernement restait responsable devant le Parlement pour maintenir un régime parlementaire... mais à quel prix.

Lors de la révision constitutionnelle de 1958, Charles de Gaulle et son équipe se sont montrés plus malins que les députés en place. Ces derniers n'étaient qu'attachés à une chose : le maintien d'un gouvernement responsable devant le parlement pour conserver une République à caractère parlementaire. Fort bien ! De Gaulle concédera à cette exigence : l'article 20 de la Constitution précise aujourd'hui que le gouvernement est "responsable devant le Parlement" tandis que les articles 49 et 50 en précise les modalités selon lesquelles cette responsabilité est censées être engagées. La motion de censure est ainsi maintenue mais ses conditions de mise en oeuvre sont drastiquement révisées par la nécessité d'une majorité de députés avec des abstentions considérées comme des votes favorables envers le gouvernement. Si la République parait parlementaire sur le papier il en est loin d'être le cas en réalité.

Le Président, quant à lui, dispose de pouvoirs renforcés. Loin d'être relégué à un rôle honorifique comme sous les précédentes Républiques, il joue un vrai rôle pour remplir la mission que lui allègue la Constitution. Il nomme ainsi le Premier ministre et, sur proposition de celui-ci, nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions. Il possède surtout le droit de dissolution, vrai arme de dissuasion massive pour prévenir une éventuelle motion de censure du Parlement, et ce sans autre conditions que celle de consulter le Premier ministre et les présidents des deux Chambres, ces derniers ne rendant qu'un avis non contraignant sur la question. Mais la vrai marque de ce présidentialisme assumé se trouve dans l'article 16 au travers duquel le Président réunit entre ses mains l'ensemble des pouvoirs lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation ou encore l'intégrité de son territoire sont menacées.


Mais qu'en est il dans la pratique de ces prérogatives gouvernementales conférées par la Constitution de 1958 ? Quittons le droit positif pour faire un peu de positivisme.  On l'a compris, le Président reste le chef, le Premier ministre ne devant que remplir le rôle, parfois ingrat d'exécutant -Michel Debré en saura quelque chose avec ses positions contradictoires à celles de De Gaulle au sujet de l'Algérie française. Dans sa pratique du pouvoir, De Gaulle dépassera parfois largement les prérogatives qui lui étaient attribuées par la Constitution. Il en a été le cas lors du putsch des généraux d'avril 1961  contre lequel il mettra en oeuvre l'article 16 de la Constitution dont les conditions, d'après certains juristes, étaient loin d'être remplies. Mais le Général, hormis la légalité constitutionnelle, disposait d'une légitimité historique aux yeux des français pour œuvrer dans ce sens.

De gaulle avait exagéré volontairement la menace représentée par le putsch de 1961. Lui même fin militaire, il savait depuis des semaines que l'entreprise du quarteron des généraux en retraite était vouée à l'échec.

Et les ministres dans tout cela ? Si ils conduisent la politique de la nation ils n'en reste pas moins extrêmement fidèles à la personne du Grand Charles et à son idée de la France. Cette convergence de point de vue se comprend : si les membres du gouvernement restaient responsables devant l'Assemblée ils n'en restaient pas moins nommés, comme il en est encore le cas aujourd'hui, par le Président lui-même. De Gaulle nommera pour son équipe gouvernementale des gaullistes chevronnés ou des experts apolitiques qui répondront plus tard au nom - aujourd'hui péjoratif - de technocrates. Ceux-ci sentaient que le rôle qui leur était attribué dépassait largement la simple fabrication de normes qui ne sont aujourd'hui produites que pour répondre à des cas extrêmement techniques ou concrets. Leur mission, ils le ressentaient ainsi, était de maintenir le rang de la France dans le nouvel ordre mondial né de la fin de la seconde guerre mondiale. Nombre d'entre eux étaient issus de la résistance, avaient connu des années de "cache-cache" sous Vichy, une pression morale et physique intense, qui les aideront plus tard non seulement à gouverner mais à disposer également de cette compréhension de l'Histoire si chère et bénéfique aux grands gouvernants.

Reportons nous soixante ans plus tard à l'aune du quinquennat Macron. On peut constater une convergence de forme mais une opposition radicale de fonds entre les gouvernements gaullien et macronien. Comme à l'ère gaullienne, Emmanuel Macron entend mener la barque avec conseillers technocrates proche de lui et disposant entre leurs mains d'un gouvernement dont le personnel leur est entièrement soumis. Cependant si bon nombre des membres du gouvernement sont de parfaits inconnus, comme il en a été le cas sous De Gaulle, ceux-ci sont aujourd'hui des exécutants de l'idéologie bruxelloise, estimant qu'un sens linéaire de l'histoire existe, et que celui-ci ne peut se traduire que par davantage d'avancée vers le supranationalisme et le libéralisme. Manifestement, les ministres macroniens, ne disposent plus du même poids politique que celui, conféré  par les épreuves de l'Histoire, de leurs prédécesseurs. Leurs points de vue ne s'expriment qu'au travers du matérialisme et de l'économisme. Ils considèrent que le salut de la France, loin de passer par son rang géopolitique aujourd'hui cadenassé par l'Allemagne, ne peut se réaliser que par le truchement de l'accumulation matérielle et de la prospérité économique niant par là-même l'essentialisme propre à chaque être humain. Cette divergence de fond s'exprime aussi par la manière dont est entretenue la solidarité gouvernementale. Macron entend diriger son "équipe" par des "séminaires" et plus de "transversalité", bref tout autant de mots issus du jargon entrepreneuriale anglo-saxon. Les membres gouvernementaux, d'En Marche! sont friands de cette culture du management américain pour exprimer leurs opinions exclusivement par des slogans, des acronymes ou des anglicismes simples à retenir.


L'utilité des parlementaires macroniens expliquée à  Aurore Bergé, une député EnMarche! Juste pour le plaisir...


De la souveraineté à la soumission :

Le parlement de la République gaullienne, si il était largement muselé par l'autorité du pouvoir exécutif, n'en demeurait pas moins souverain. Au travers de ses lois il n'avait à rendre de comptes qu'à la Constitution. La souveraineté manifeste l'exercice politique effectif sur une nation qui a elle même défini la nature de cette exercice politique. En d'autres mots, le peuple choisit - plus ou moins directement - le gouvernement et le parlement qui exerceront à son endroit le pouvoir, voir la violence légitime. Mais la souveraineté se traduit également par l'absence de subordination d'un Etat sur un autre. Bien entendu, on ne saurait contesté l'influence d'un Etat à l'encontre d'un autre mais ce dernier ne peut, en théorie, recevoir directement des ordres d'un quelconque Etat étranger pour la conduite de sa politique nationale. Sous l'ère gaullienne, l'Etat français a tenté de jouer un rôle d'influence au travers du monde, notamment à l'égard de l'Ancien Continent et du Moyen Orient. Mais jamais il n'a interféré dans les affaires intérieures d'un quelconque pays comme le font aujourd'hui les Etats occidentaux actuels.

Sous notre époque, on peut littéralement, concernant la France, inverser la phrase concernant la subordination : la souveraineté se traduit par la présence d'une subordination d'un Etat sur un autre... On peut même en changer l'un des sujets, "l'autre", pour être plus précis. La France n'est plus aujourd'hui subordonné à un Etat mais à un organisme international : l'Union Européenne ! Dans les faits, cette soumission se traduit aujourd'hui par une Assemblée Nationale devenue le vassal d'une Union Européenne dont la légitimité démocratique est loin d'être reconnue :  notre parlement national enregistre les directives et les règlements d'un parlement européen, élu par moins de 40% des inscrits français, aux ordres d'une commission européenne qui ne répond de ses actes devant aucune instance démocratique. Cela se manifeste d'ailleurs directement sur nos lois : 80 à 90% d'entre elles sont de simples transpositions de normes communautaires suintant le sansfrontiérisme et la promotion à tout va des milieux financiers.

Pour masquer cette impuissance, et faire preuve de sa puissance chimérique, le parlement macroniste édicte avec ferveur des lois sur des sujets sur lesquels il dispose encore d'une emprise : la vie politique. On lui concédera cependant qu'il n'est pas le premier à œuvrer dans ce sens  puisque les parlements successifs ont suivit cette tendance depuis bientôt plus de vingt ans. Sur ce postulat on comprend l'origine et l'intérêt d'une loi sur la moralisation de la vie publique. Elle n'est en fait "qu'une poire à chagrin pour passer à un autre sujet" comme nous l'avertissait notre si prévenant général. Les français sont des machiavéliques, non des puritains scandinaves ou des quakers mormons. Ils ne sont pas lassés du fait de la corruption de nos élus, mais de leur impuissance. Même les sondages contredisent la soi-disante attente des français sur la moralisation de la vie publique, ceux-ci étant davantage inquiets par les phénomènes de la crise migratoire et du terrorisme islamique. Ipsos - qui n'est franchement pas un organisme de sondages remplies de réactionnaires - au travers d'une enquête "Fractures française 2017", a constaté que 65% des français pensent qu'il y a trop d'étrangers en France, ce chiffre étant identique à celui de 2016 et en croissance depuis 2014. En outre, l'étude établit que seulement 40% de nos compatriotes considèrent que l'islam, tel qu'il est pratiqué en France, est compatible avec les valeurs de la société française.

Comme notre Parlement n'a plus d'emprise sur l'économie et l'immigration - deux sujets étroitement liés et qu'il glorifie - il passe son temps à voter des lois qui n'ont presque plus aucune influence sur la prospérité de notre pays et dont la plupart des français se fichent comme d'une guigne. Mais le déclin de nos représentants parlementaires ne ne se traduit pas uniquement dans la production législative. La personne même du député est aujourd'hui à relativiser par rapports aux soixante dernières années. En effet, alors que l'Assemblée Nationale du précédent siècle était largement constitué d'hommes, et par fois de femmes, bénéficiant d'un poids politique et intellectuel non négligeables,  nous nous retrouvons en 2017 avec des députés faisant preuve, parfois jusqu'à la caricature, d'un amateurisme confondant. Ceux-ci sont d'ailleurs contraints de participer à des "séminaires" comme des salariés commerciaux le seraient pour se former à de meilleures techniques de ventes.

"Je veux que la France soi la Nation des Startup. Une Nation qui pense et qui bouge comme un Startup". Le bougisme aux rênes de la République.

C'est un constat comparatif que d'aucun pourrait qualifier de réactionnaire ou de "c'était mieux avant". Nous assumons pleinement cette position. Mais la sincérité nous force à admettre que tout n'est pas à jeter dans l'esprit de la République macronienne. Comme nous l'avons souligné celle-ci a renoué avec la forme d'un pouvoir exécutif qui, si il ne reflète plus l'esprit originel de la Vème Répuglique, bénéficie néanmoins d'une autorité plus importante face à un parlementarisme de plus en plus débridé au fil des révisions constitutionnelles de ces trente dernières années. L'autre sujet majeur sur lequel le pouvoir macronien s'illustre avec talent demeure celui de la diplomatie étrangère. Contrairement à leurs prédécesseurs respectifs, Macron et Le Drian ne versent pas dans un manichéisme dégoulinant de niaiserie comme on pu le faire autrefois Hollande et Fabius notamment à propos de la Syrie et de la Russie.

Cependant, on se plait à voir nos journalistes se transformer en historiographes de notre jeune roi pour glorifier sa politique internationale. La rencontre entre Poutine et Macron à Versailles demeure l'illustration parfaite de cette information dithyrambique sur le sujet. Les médias officiels ont consensuellement fait l'éloge d'un Macron sûr de lui, lançant au visage de Poutine sa diatribe à l'encontre de journaux français pro-russe n'ayant pas fait dans la dentelle pour mettre des bâton dans la campagne présidentielle de notre pompeux Président. De même, sa réponse au refus de Donald Trump de signer les accords de Paris par une formule ironique et simpliste  - "Make our planet great again" -, fera l'objet d'éloges apologiques de la part de nos hagiographes macroniens. Ceux-ci auront simplement oublié d'une part que Poutine a répondu à Macron que les aspirations souverainistes d'une grande partie de son peuple n'étaient pas illégitimes à ses yeux, et d'autre part que l'accord de Paris n'était qu'un texte de grandes intentions, dépourvu d'une quelconque force juridique, et dans lequel les "should" et les "could" se substituaient au "must" et au "have to". Mais si l'on écarte cette flatterie exprimée par nos médiacrates, nous ne pouvons que nous réjouir de cette prise de hauteur sur les questions internationales. Il en est de même actuellement avec les positions de Monsieur Blanquet sur l'Education Nationale afin (d'essayer) d'en finir avec 30 ans de pédagogisme et de constructivisme (l'élève qui construit son propre savoir...) qui ont transformé progressivement les professeurs en des assistants sociaux quotidiennement au bord de la crise de nerfs. Mais les temps longs ont leur logique. Macron continuera a privilégié l'idéologie dominante du marché ; il reprendra les thèmes scandés par les multiples minorités ethniques et sociales; il dirigera la France et son gouvernement comme une startup; sa vision courtermiste des choses, si caractéristique des milieux financiers, s'opposera ridiculement à celle longtermiste du plus illustre des français - De Gaulle.  Mais comme le scandent naïvement  nos progressistes macroniens : "les temps changent"





mercredi 30 août 2017

L'euro : entre récession et économisme de comptoir.


L'économie est devenue un sujet prépondérant dans le débat politique contemporain. De Valéry  Giscard d'Estaing, avec sa prestance d'un surintendant moderne des finances, à Emmanuel Macron et  son arrogance énarchique de caste, celle-ci est devenue l'instrument technique et rhétorique par excellence pour écraser l'adversaire lors d'un débat politique, le récent débat présidentiel entre M. Macron et Mme Lepen exemplifiant parfaitement ce fait. 

Non seulement écrasante dans la controverse politique, l'économie, accompagnée de sa pratique politique, est sujette à une sacralisation idéologique particulièrement manifeste dans les milieux médiatiques et politiques. Les néolibéraux - dont nos gouvernants d' "En Marche"  constituent la quintessence - considèrent aujourd'hui l'économie comme un objet technique ou une science purement arithmétique auquel on ne saurait ajouter une quelconque nuance idéologique ou politique. Le problème est que l'économie est avant tout une science sociale et donc perfectible par nature. Jacques Généreux, économiste universitaire, éclaircit cette particularité : 

 " Si l'économiste, observe-t-il, peut adopter une démarche scientifique, ses résultats ne sont pas de même nature que ceux des sciences de la nature. Ces dernières énoncent des lois universelles (la pesanteur, la lévitation, etc.) qu'il serait absurde de contester. Ces lois permettent de prévoir avec exactitude certains phénomènes (le retour d'une comète par exemple). Or, à de rares exceptions près, la "science" économique est incapable d'énoncer des lois de ce type. Les lois de l'économie sont pour l'essentiel des règles de fonctionnement de la société déterminées par des choix humains (eux-mêmes conditionnés par l’histoire, la culture, et l'environnement [tout autant de gros mots pour les néolibéraux] des décideurs), et non par une nécessité mécanique et matérielle. Il s'agit ainsi de lois sociales, et donc locales, datées et évolutives."

L'économie n'est donc pas une science au sens mathématiques du terme. Trop de facteurs anthropologiques, civilisationnels, temporels, politiques, etc., l'affectent et l'influent pour en faire une telle science.

 "De plus, ajoute l'universitaire, l'économie ne peut donner aucune réponse simple et univoque à la plupart des questions de politique économique (...) l'économie est une science de l'efficacité, c'est-à-dire de l’adéquation des moyens aux fins.(...)l'économiste bute toujours sur une question de justice :comment répartir les coûts et les avantages entre des individus supposés égaux en droit ? Comme personne n'a de réponse "scientifique" à cette question, la réponse relève d'un choix politique. C'est en ce sens que l'économie est par nature politique."

Choisir d'augmenter le taux d'intérêt, de baisser les dépenses publiques, d'accroître les prélèvements obligatoires, etc., constituent donc des décisions politiques et non des décisions techniques ou scientifiques comme l'estiment les néolibéraux endoctrinés par un scientisme mêlé à une idéologie de marché. Ce scientisme de l'économie s'illustre particulièrement au sujet de la monnaie de l'euro et de sa zone monétaire. Face à leurs adversaires, les thuriféraires de l'euro  opposent davantage de diatribes que d'arguments de fonds. Les "eurosceptiques" (comme les médias adorent les surnommer) ne seraient, selon eux, que des idéologues ou des irresponsables incapables de comprendre les enjeux économiques et politiques d'une zone monétaire commune. Pourtant, cocassement, tous ces adjectifs peuvent parfaitement qualifier aujourd'hui les idéologues de la monnaie unique européenne. D'un Bruno Lemaire, évoquant succinctement la sortie de l'Euro comme  rien de moins qu'une ruine de la France, à un Emmanuel Macron , péremptoire, prophétisant que les cultivateurs de "pommes dans la vallée de la Durance ou l'épargnant (...) perdront du jour au lendemain 20% de leur épargne" en cas du retour au franc, on constate chaque jour cet aveuglement idéologique au sujet de la monnaie européenne. On rétorquera aussi à notre pimpant Président que sa chère Banque centrale européenne, dans un rare élan de lucidité, a dévalué de 20% l'euro en à peine un an et demie et que personne n'a pipé un seul mot sur cette décision. 

Si les concepteurs de l'euro et de sa zone monétaire partaient d'un bon sentiment, on ne peut que tragiquement constater les médiocres résultats de ses effets au regard des nombreuses critiques provenant d'économistes universitaires comme J. Stiglitz, J. Généreux, ou encore J.Sapir. Ceux-ci, parmi tant d'autres, démontrent que la zone euro n'est synonyme depuis son lancement que de stagnation ou de récession, qu'elle nous a privé de nos instruments souverains de régulation économique, qu'elle illustre l'intransigeance, si ce n'est l'arrogance d'une l'Allemagne donneuse de leçons, et qu'elle démontre que la solidarité européenne, si chère aux européistes, n'est qu'une lubie.

Valéry Giscard d'Estaing et Emmanuel Macron : la vieille suffisance rencontre la jeune arrogance


La zone euro : une récession depuis bientôt deux décennies 

La zone euro constitue depuis sa création en 1999 la zone monétaire commune la moins productive et efficiente de son époque. Les dirigeants de la zone euro s'évertuent avec une certaine fougue à nous convaincre que les bons résultats économiques de l'euro sont au rendez-vous alors que la réalité est beaucoup moins rose que leur constat, davantage alimenté par leur mauvaise foi idéologique que par la sincérité. Une infime baisse du chômage ou hausse de la croissance sont présentées comme des éléments d'une reprise prophétisée depuis bientôt vingt ans. Il ne serait pas étonnant à ce sujet de voir Emmanuel Macron se pavaner avec son 1.1% de croissance qui ne représente pourtant, aux yeux d'un honnête économiste, qu'une stagnation.

Joseph Stiglitz, économiste américain, dans son ouvrage "l'euro comment la monnaie unique menace l'avenir de l'Europe",  nous dresse le tableau effarant de ce marasme économique. Il évoque la stagnation du PIB réel de la zone euro qui "stagne à présent depuis près de 10 ans" et qui, en 2015, n'a été supérieur que de 0.6% à son niveau de 2007. (...) Si, en moyenne, les pays de la zone euro ont eu de mauvais résultats, certains ont connu une croissance modeste tandis que d'autres, comme la Grèce, ont fait une chute catastrophique. L'Allemagne, qui passe pour la championne européenne, a eu une croissance de 6.8% sur la période de huit ans écoulée depuis 2007, mais cela fait un taux annuel moyen (...) de 0.8% seulement." Nous sommes loin de l'état des lieux dithyrambiques posé par nos propres hommes politiques au sujet de l'Etat d'Angela Merkel et dont les modes de gouvernance et de société sont tant rêvés par ces mêmes pour la France depuis des lustres. L'économiste va plus loin en comparant les contractions du PIB réel de certains pays de la zone euro à celles connues pendant la Grande Dépression de 1929. Certaines contractions sont encore plus importantes sous la crise de l'euro notamment avec la Grèce et l'Irlande qui verront leur PIB se contracter respectivement de -24% et -8% entre 2007 et 2015 et "seulement" de -8%  et -5% à la suite du Krack boursier de 1929. La comparaison géographique avec les Etats Unis d'Amérique est tout aussi pertinente puisque, de 2007 à 2015, la croissance du PIB réel par habitant a été de 3.4% au pays de l'Oncle Sam alors qu'elle a été de -1.5% (oui, un chiffe négatif) dans l'Eurozone. Par ailleurs ces chiffres ne nous donnent qu'un constat quantitatif des résultats de l'euro. Aussi mauvais soient-t-ils, ajoute Stiglitz, ces chiffres ne traduisent pas pleinement l'ampleur de la baisse des niveaux de vie : la sécurité économique est une composante importante du bien-être, et les pays en crise ont vécu une forte montée de l'insécurité, que reflètent les hausses ahurissantes du chômage et les coupes budgétaires importantes dans les systèmes de protection sociale.

Et ce n'est pas tout. Il est un lieu de commun de croire que le marasme économique connu aujourd'hui par de nombreux pays de la zone euro provient uniquement de leur prodigalité pour les dépenses budgétaires et n'a strictement aucun rapport avec la politique monétaire européenne. L'Allemagne s'empresse toujours d'avancer ce genre d'argument pour justifier sa politique d'austérité si bénéfique pour son seul intérêt. Pourtant, bon nombre de pays comme l'Espagne, l'Irlande, ou encore la Finlande présentaient des comptes publics en état d'excédent budgétaire avant la crise de 2008. Prenant exemple de l'Etat finlandais, Stiglitz évoquent trois raisons, autres que budgétaire, à l'origine de la crise économique finlandaise : la claque commercial prise par Nokia qui a perdu d'énormes parts de marché dans le domaine technologique face à la redoutable concurrence de Apple; une industrie du bois frappée par une baisse de la demande; un partenaire commercial majeur - la Russie - connaissant la récession (à cause de la baisse du prix du pétrole) et frappé par des sanctions commerciales de l'Union Européenne. Et ne parlons pas de l'Etat Irlandais qui, malgré des comptes publics excédentaires, sera appauvri, non pas par une politique publique dépensière, mais par l'ordre officieux qui lui sera enjoint par l'UE de renflouer ses banques après 2008 faisant passer ainsi le rapport dette/PIB de 25% à 95% ! L'Allemagne peut par ailleurs s'estimer chanceuse de produire des biens très demandés par la Chine, véritable économie fulgurante, alors que ses concurrents commerciaux européens doivent produire des biens largement en concurrence avec les produits chinois. Sa prospérité économique a donc davantage à voir avec un politique agressive d'exportation commercial - qu'elle peut mener à bien grâce à une dévaluation interne (nous y reviendrons en dernière partie) - qu'avec des compte publics entretenus avec sévérité.

Mais pourquoi les pays de la zone monétaire ne peuvent ils plus retrouver en l'état actuel des choses leur prospérité économique d'antan ? Tout simplement parce que l'euro, par sa rigidité, a supprimé les instruments nationaux permettant d'atteindre un tel objectif.




La rigidité de l’euro : la maîtrise de l’inflation à tout prix

Lors du débat d'entre deux tours, Emmanuel Macron a repris un argument classique pour contrer le programme économique de Marine Lepen : le retour au franc instaurerait une dévaluation monétaire (comme par magie) de 20% entraînant en conséquence une baisse de cette même valeur pour le patrimoine de la plupart des français. Nous avons déjà précisé en introduction à quel point cet argument était en contradiction avec la politique monétaire de la BCE qui a consisté à dévaluer depuis deux ans l'euro de 20% par rapport aux dollars. Mais cette insistance de Macron sur la dévaluation possible de notre monnaie nationale en cas de sortie de l'euro souligne d'une part l'idéologie ordolibérale qui guide sa politique économique, mais aussi le refus de retrouver la maîtrise des instruments nationaux économiques et monétaires pourtant essentiels pour garantir à minima la prospérité de notre économie française.

Beaucoup de pays de la zone euro sont aujourd'hui en récession, si ce n'est, à l'instar de la Grèce, en dépression. Dans cette phase de déclinisme économique, un pays dispose normalement de trois issues : la baisse des taux d'intérêts pour stimuler la consommation et l'investissement ; la baisse des taux de change pour stimuler les exportations ; le budget publique pour augmenter les dépenses d'Etat ou diminuer les prélèvements obligatoires. Or, la zone monétaire européenne a supprimer les deux premières solutions en imposant un taux de change unique pour l'ensemble des pays de la zone monétaire européenne et en faisant encadrer un taux d'intérêt unique et modulable uniquement par la Banque centrale européenne qui ne se soucie étroitement que d'une chose, l'inflation. Quant aux dépenses publiques, elles diminuent progressivement par les critères de convergence contenus dans le Traité sur la Stabilité, la Coordinaion et la Gouvernance (TSCG).

L'euro présente donc un vice structurel : celui de ne pouvoir s'adapter à l'ensemble des dix neufs économies divergentes de la zone monétaire européenne. Pourtant un pays peut connaître l'inflation et un autre la récession ; un Etat pourrait connaitre un excédent dans sa balance commercial et un autre un déficit. L'un aurait alors besoin d'un taux d'intérêt et d'un taux de change à la hausse, pour respectivement faire baisser l'inflation et les exportations, alors que l'autre aurait nécessairement envie d'une baisse de ces deux taux pour stimuler son économie par l'investissement et augmenter ses exportations. Pourtant, rien de tout ceci n'est possible avec l'euro puisque l'ensemble des pays de sa zone monétaire ont adopté une monnaie unique en cédant le contrôle de leurs taux d'intérêts et en adoptant un taux de change unique. Comment les instigateurs de la zone monétaire européenne ont pu croire dans le bon fonctionnement de l'euro avec une telle rigidité institutionnelle ?

 Quelle idéologie a donc animé les concepteurs de la monnaie unique européenne pour croire que celle-ci fonctionnerait à merveille et nous apporterait, selon leurs propres dires, une croissance prospère et un chômage rachitique. Cette conviction politico-monétaire repose en fait sur la théorie de la confiance élaborée par Herbert Hoover, trente et unième président des Etats Unis de 1929 à 1933. Sa théorie s'avérait simple : la réduction des déficits publics rétablirait la confiance des marchés (confiance dans la capacité de l'Etat à recouvrer leurs créances en cas de crise), ce qui augmenterait l'investissement pendant que ceux-ci auraient la main libre sur l'économie pour rétablir le plein emploi. Mais Hoover n'a pas réussi à rétablir cette soi-disante confiance. Il a au contraire transformé un krack boursier en Grande Dépression. Si nous faisons une transposition temporelle, c'est aujourd'hui cette même théorie que la troïka européenne (la commission européenne, la BCE, et le FMI) s'obstine à vouloir appliquer à la zone euro. A longueur de journée, d'ondes, et d'articles nous entendons nos dirigeants, y compris français, nous rabâcher que la maîtrise de la dépense publique et la baisse de coûts du facteur travail sont une priorité absolue pour voir une reprise de la croissance. Les adeptes de ce substrat idéologique invoquent quelques exemples qui auraient apparemment réussi à retrouver une économie florissante par ce biais. Mais il faut souligner que ces pays dont il est question, au moment même de réduire leur déficit, ont connu des voisins en pleine expansion économique vers lesquels ils ont pu développer une forte activité commerciale exportatrice. Il en a été le cas, au début des années 1990, du Canada qui a su profiter de la bonne santé économique des Etats Unis pour combler davantage sa récession par une forte politique d'exportation que par la réduction de ses dépenses publiques. Aujourd'hui, même le FMI reconnait que l'austérité étouffe l'économie et s'inquiète de l'effet de ses propres politiques sur la capacité de la Grèce à pouvoir garantir ses dettes publiques malgré un respect sourcilleux de la politique de convergence budgétaire imposée par l'Allemagne de Merkel.

Le rêve inversé de Mitterrand : l’Allemagne maîtresse de l’euro

"La France est notre patrie, l'Europe est notre avenir" : voilà ce qui peut résumer le rêve de François Mitterrand, notre dernier monarque présidentiel à propos de l'Union Européenne. Son rôle a été d'une primordiale importance dans l'instauration de la monnaie unique qui s'est traduite, comme nous l'explique si bien Jean Pierre Chevènement dans "Un Défi de civilisation", par une adaptation de notre économie nationale à "l'ordolibéralisme allemand : priorité à la seule lutte contre l'inflation dans les statuts de la Banque centrale européenne (BCE), indépendance de celle-ci vis à vis du "politique", déficit budgétaire contenu, etc.". L'influence des ministres de Mitterrand, notamment par les deux francs européistes, Delors et Mauroy, ne sont pas à sous-estimer dans le choix de celui-ci pour la monnaie unique. "Dans le contexte de l'époque, précise Chevènement, la conversion européenne - et libérale - était plus tentante et surtout plus facile pour la gauche fraîchement arrivée au pouvoir.(...) les dirigeants du Parti socialiste restaient, dans leur majorité, des anciens de la SFIO, artisans -autour de Guy Mollet - de l'Europe communautaire." De plus, on pourrait ajouter qu'elle permettait à François Mitterrand de faire oublier le désastreux bilan économique résultant du virage libéral de 1983, lui même inspiré par ses mêmes conseillers sus-cités.

Beaucoup pensent que Mitterrand avait aussi une vision pragmatique, et non seulement idéologique, derrière son projet européen. En effet la réunification des deux Allemagnes donnerait au nouvel Etat allemand une prédominance géopolitique et économique qui prendrait ses appuis sur l'élargissement du marché unique aux pays de l'Europe de l'Est qui s'était opérée dans les années quatre vingts. Le choix de la monnaie unique par Mitterrand aurait traduit chez lui la volonté de faire converger les deux puissantes économies, allemande et française, de l'époque et éviter ainsi que la première n'écrase littéralement la seconde. Mais Chevènement remet les pendules à l'heure en rappelant que "le choix de la monnaie unique a été fait à Madrid en juin 1989, à un moment donc où on ne voyait encore rien venir" du côté allemand. " Ce choix de la monnaie unique, poursuit le Ministre, doit donc tout à l'idéologie "européiste" d'une Union européenne se substituant aux nations, et rien au contexte géopolitique par lequel on le justifie aujourd'hui : la réunification allemande."

 Aujourd'hui le rêve mitterrandien d'une Europe solidaire s'est inversé. L'Allemagne a su profiter de la rigidité de la zone monétaire européenne en pratiquant, dans les années 1990, une politique agressive de dévaluation interne se traduisant par une concurrence déloyale. Prenant les devants sur les impossibilités qui allaient lui être imposées de ne plus utiliser le taux de change, le taux d'intérêt, ou sa politique budgétaire pour assurer sa bonne santé économique, l'Etat allemand a baissé au maximum son coût du travail par une baisse des salaires, une baisse des prestations sociales et un dérèglement fiscal; tout ceci accepté par un syndicalisme allemand beaucoup plus propice à accepter tous ses sacrifices que les syndicats français. Tout ceci ne fait que refléter en pratique la théorie de la confiance de Herbert Hoover et qui ne profite qu'à un seul Etat : l'Allemagne. La solidarité européenne, promeut à l'époque par Mitterrand et la majeure partie de la classe politique, gauche et droite confondue, n'est aujourd'hui qu'une chimère pour justifier le joug allemand sur l'ensemble de l'Union européenne.

Mitterrand et Chevènement : deux amis politiques, deux adversaires idéologiques.

Une monnaie qui fait fi du bien être des peuples : le cas de la Grèce 

Beaucoup d'hommes politiques européens, qu'ils soient français ou autres, s'imaginent que la Grèce ne s'est retrouvée dans une situation de crise qu'en raison de sa politique budgétaire désastreuse et de ses comptes publics déficitaires. C'est facilement écarter le fait que cet Etat se trouvait déjà dans cette situation au moment de l'acception de son entrée dans la zone monétaire européenne en 2000. C'est aussi esquiver la fine analyse de Stiglitz soutenant avec pertinence que la situation dans laquelle se trouve la Grèce aujourd'hui résulte davantage d'une crise privée que publique. Aussi, bon nombre d'analystes estiment-ils que l'adoption de la monnaie unique par la Grèce a ouvert un boulevard au secteur bancaire et financier pour vendre tout et n'importe quoi à un Etat grecque d'autant plus propice à acheter qu'ils bénéficiaient avec l'euro d'un taux d'emprunt inadéquat à sa situation industrielle et économique. "Avant la mise en place de la monnaie unique, précise l'historien Olivier Dollorme, en 1999-2001, tout semblait encore sourire à l'Europe. Mais la nouvelle monnaie (...) a semé les germes de la discorde au sein de l'Union.(...) Auparavant, quand un pays laxiste achetait à l'étranger plus qu'il ne vendait, il était promptement ramené à l'équilibre par la dévaluation de sa monnaie [pour favoriser l'exportation et rééquilibrer ainsi la balance des comptes courants]. En supprimant cette force de rappel, la monnaie unique a autorisé toutes les dérives et permis par exemple aux industriels et banquiers allemands et français d'abuser de la faiblesse des dirigeants grecs pour leur vendre à crédit toutes sortes d'inutilités (chars et avions de combat, pont de l'isthme de Corinthe, autoroute du Péloponnèse, aéroport d'Athènes, Jeux Olympiques de 2004). En 2010, menacés de perdre ces placements irresponsables, les banquiers français et allemands (Commerzbank, BNP...) en ont repassé le fardeau aux Etats avec la complicité des oligarques grecs."

C'est donc l'irresponsabilité des marchés financiers et bancaires conjuguée à l'euphorie des dirigeants grecs - encouragés par les débuts prometteurs de l'euro et de son taux de change unique entraînant une spéculation mortifère vers les pays les moins développés comme la Grèce - qui a donné naissance à cette situation grecque désastreuse. Stiglitz a évoqué une réunion privée au cours de laquelle il s'était entretenu avec un "Premier ministre d'un pays d'Europe du Nord" dont il veut conserver l'anonymat. Durant l'entretien, l'économiste a évoqué les familles grecques et espagnoles, "hier encore classe moyenne, cherchant ça et là de quoi survivre, incapables de chauffer leur maison en hiver, et même mangeant ce qu'elles trouvaient dans les poubelles". Cinglant, son interlocuteur lui répondit qu' "ils auraient du réformer leur économie plus tôt; ils n'auraient pas du être si dépensiers." Ces propos illustrent on ne peut mieux la défiance des classes dirigeantes européennes à l'égard du peuple grec, pensant que celui-ci n'est constitué que de fainéants fraudeurs et peu scrupuleux à rembourser leurs prêts. Il n'en est rien.

 La troïka européenne, aveuglée par sa théorie de la confiance, imposera aux citoyens grecs de réparer les conséquences des décisions prises à l'époque d'un commun accord entre les dirigeants oligarchiques grecs et les milieux financiers.  Les solutions directement nées du programme d'austérité imposés à la Grèce en échange d'une aide de liquidité (une aide dont le coût sera disproportionné en rapport avec les avantages acquis) provoqueront une récession et en 2015 une dépression. Avec celle-ci, précise l'économiste américain, " des centaines de milliers de personnes ont perdu leur travail, des centaines de milliers d'autres ont dû accepter des baisses de salaire de 40% ou davantage; la plupart  de ceux qui ne paient pas ne peuvent pas payer. L'Europe a fait un pari : son intransigeance allait rapporter au banques une fortune et le montant qu'elle aurait elle-même à avancer pour les recapitaliser serait réduit d'autant. Mais tout indique qu'en réalité des milliers de Grecs pauvres vont se retrouver sans abri et les banques, encombrées de maisons invendables. (...) Les technocrates de la zone euro n'étaient pas attentifs aux statistiques qui captaient ces souffrances. Et ils ne voyaient pas non plus que, sous la froideur de ces chiffres, il y avait des personnes de chair et d'os, dont on était en train de ruiner la vie. C'est comme l'avion qui bombarde à 15000 mètres d'altitude : le succès se mesure aux objectifs atteints et non aux vies détruites."



La Grèce en dépression ne peut plus aujourd'hui stimuler son économie par une baisse des taux d'intérêt ou de son taux de change, ni par une politique de dépense budgétaire adéquate. Une politique de protection industrielle (freinant, par exemple, la mobilité les capitaux bancaires vers des pays plus capitalisés) et favorisant la demande (par l'augmentation du pouvoir d'achat au travers du salaire et des prestations sociales) auraient dynamisé un investissement, une consommation, et des recettes fiscales qui en auraient découlé. Il ne s'agit pas ici d'exalter une dépense budgétaire à tout va, mais simplement de faire comprendre que les politiques protectionnistes, par leur application temporaire et opportune, permettent de sauver un pays d'une situation désastreuse. Pourtant, aujourd'hui, les débatteurs politiques et médiatiques s'adonnent avec joie à caricaturer la moindre once de protectionnisme comme un retour à l'union soviétique et à la politique des Kolkhozes.

 La troïka européenne se gargarise aujourd'hui d'une Grèce qui aurait retrouvé l'équilibre de ses comptes publics. Mais le prix que vient de nous décrire Stiglitz a été fort. Pourtant celui-ci nous démontre point par point comment, avec les instruments économiques nationaux (taux de change, taux d'intérêt, et politique budgétaire), la Grèce aurait pu s'en sortir si elle était sortie de la zone euro à partir de la crise de 2015. L'économiste va jusqu'à proposer des solutions sans la sortie de l'euro mais qui s'éloignerait de l'eurolibéralisme radical pratiquée aujourd'hui : élargissement du mandat de la BCE à la lutte contre le chômage, création d'un fonds de garantie bancaire commun, réglementation fiscale commune, etc. Plus largement, Stiglitz propose deux solutions : plus d'Europe, des solutions sans rompre avec l'euro, ou moins d'Europe, avec la sortie de l'euro et la réutilisation des instruments de régulation nationaux. Ces deux solutions l'Allemagne n'en veut pas. La seconde parce qu'elle marquerait certainement le début de la fin de l'eurozone et en conséquence celle de la domination allemande, la première parce qu'elle va en contradiction avec les politiques d'austérité imposés aujourd'hui par Madame Merkel. Plaider l'utilisation d'instruments économiques nationaux n'a rien d'irresponsable, bon nombres de pays, fort heureusement pour eux, l'utilisent encore. Mais on comprend maintenant pourquoi l'Allemagne s'opposera - bientôt en vain - à ce que des Etats de la zone euro retrouvent entre leurs mains ces instruments : si tel était le cas elle ne pourrait plus passer son temps à donner des leçons d'austérité budgétaire à tout le monde.


mercredi 9 août 2017

Les expatriés

« Les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magnifiques des villes inconnues... ». Joseph Kessel.

Voyager est un bienfait,  on ne saurait le contester. L’homme est nomade par sa nature. Excitation ou déception, joie ou tristesse, bonheur ou malheur, tous ces sentiments le voyageur les côtoie sur son périple aussi long ou court soit-il. Tout ceci participe à une stimulation de l’esprit du baroudeur qui, quoi qu’il en soit, tirera toujours de son odyssée une expérience productive. La connaissance d’une autre culture, d’une autre flore, d’une autre société, d’une différente organisation familiale, ne peut qu’aiguiser notre point de vue sur notre propre vie et celle d’autrui.   

A l’ère du loisir, voyager est presque devenu une mode. Les agences de voyage, les pages Facebook, les sites pour «travelers», sont là pour en témoigner. Les destinations s’enchaînent comme des collections vestimentaires, on passe de l’Australie (lieu de prédilection il y a de cela quelques années) au Canada  (aujourd’hui la terre promise pour bon nombre de jeunes français) comme on passerait  d’une chemise unie à une chemise rayée chez Jules. Et les moyens pour atteindre ses lieux se sont développés. Se déplacer de Paris au Québec est devenu aujourd’hui aussi banal et facile que de passer de la haute à la basse normandie. Les billets sont à des prix toujours de plus en plus attractifs (on trouve des vols à 50 euros l’aller retour entre la France et l’Espagne !), la publicité appelant au voyage omniprésente (d’autres diraient agressive), sans parler des  logements de plus en plus ubérisés au grand détriment des moyens d’hébergement plus traditionnels comme l’auberge de jeunesse, l’hôtel, ou encore le gîte.

Pourtant cette facilité de se déplacer ne répond pas nécessairement à un attrait de plus en plus important de notre civilisation occidentale au voyage. Elle correspond en grande partie à notre mode de société, politique, et économique, et non seulement à notre goût de l’aventure en tant que petit bourgeois Bohême. Plus que voyager, beaucoup de nos contemporains souhaitent vivre tout simplement hors de leur pays d’origine. Les motivations sont souvent d’ailleurs toutes aussi différentes que louables : un meilleur salaire, une autre vie, une famille vers qui l’on souhaite se rapprocher, un esprit de nomade… Mais s’agit-il encore d’un voyage ? Non. Et pourtant la facilité  de s’installer à l’extérieur de son pays profite tout autant de cette liberté de déplacement tant chérie par les voyageurs. Or, la notion de déplacement et tout ce qui l'entoure est très chère à notre civilisation libérale.

On ne s’étonne plus aujourd’hui de voir  une partie de la génération des trentenaires, nourrie à l’idéologie libérale depuis sa naissance, abandonner famille et patrie pour travailler ou vivre à l’autre bout de la planète. Sa pensée en est d’ailleurs affectée. Voyager est devenu davantage un mode de vie qu’un simple loisir. La jeunesse voit la frontière comme un obstacle et non une protection. Pire, l’enracinement n’est qu’une perte de temps, une entrave à la carrière professionnelle, un synonyme d'enchaînement insupportable aux traditions locales nous transformant petit à petit en «radis» (c.f Jacques Attali). La mobilité serait ainsi faite pour les « winners », alors que l’immobilisme ne serait destiné qu’aux  « loosers ». Dans une certaine extrémité il n’est pas rare que certains aillent jusqu’à critiquer leur propre  pays, une patrie gâcheuse de talents, qui ne saurait tirer profit de toute sa potentialité, comme nous le rabâche à longueur de journée la caste médiatique. Croyant que son malheur  ne saurait trouver son origine que dans la manière dont est gouvernée la France – ce qui n’est pas totalement faux – cette génération ne se rend pas compte qu’elle entretient, par ce comportement de nomade, le propre modèle de civilisation qui l’exploite et l’avilie. Un modèle qui fait d’ailleurs feu de tout bois pour subordonner ces jeunes à ses propres lubies.   


Pourquoi ce culte de l'expatriation ?



Les années soixante dix ont constitué une importante période catalysatrice sur la mentalité des plus jeunes générations. Beaucoup d’historiens, de sociologues, de journalistes, louent Mai 68 pour avoir commencé ce travail de renouveau culturel alors qu’il parait pourtant simpliste de réduire ce bouleversement des mentalités à une révolte étudiante et ouvrière de quelques jours. Non, cette transformation sociétale trouve ses origines bien avant les évènements de soixante-huit. En effet, le début des années soixante connaitra une foultitude de temps « progressistes ». Pour exemple, l’occident connait peu à peu la pilule contraceptive, par ailleurs  légalisée en France par la célèbre loi Neuwirth, le prêt à porter fait son apparition et casse les codes de la haute couture, les yéyés envahissent la France et la popmusique nos walkmans, et les hippies se démarquent par leur idéologie antimatérialiste et leurs mœurs légères. Toutes les traditions et structures sociales, familiales et politiques sont déjà subrepticement battues en brèche. Mai 68 ne sera qu’un coup de haut parleur de cette époque libérale et les années soixante-dix n’en seront qu’une cristallisation. Celle-ci se réalisera grâce à la génération soixante-huitarde qui, dès la démission du monarque présidentiel en 1969, prendra progressivement les rênes des différents pouvoirs politique, médiatique et culturel français et imposera sa vision du monde et son idéologie à la postérité.

Cette idéologie se caractérisera par le rejet de tout ce qui aura attrait au patriotisme, au local ou à l’autochtone alors que la diversité, l’immigration, l’hédonisme, et le sans frontiérisme seront quant à eux promus en grande pompe.  Les générations des années soixante-dix jusqu’à aujourd’hui seront endoctrinées par  ce corpus idéologique qui ne s’exprimera désormais qu’en termes de droit individuels et de libertés. Plus aucune restriction à ceux-ci ne saurait être admise et on n’oserait a fortiori aborder la moindre entrave à  la liberté de déplacement et d’installation qui constitueront les conditions d’un quasi nouveau mode de vie.

On ne saurait pourtant expliquer entièrement l’attrait pour l’expatriation ressentit nos jeunes français si l’on occulte le contexte économique. En effet différents facteurs sur ce sujet peuvent  expliquer cet engouement de la jeune génération, souvent très diplômée, pour ce phénomène. Il nous faut pour cela dresser un tableau de la force économique française, ce qui s'avère être  un exercice déprimant. Voyons plutôt. Le taux de chômage pour les plus jeunes français en âge de travailler à été multiplié par 3.5 en 40 ans. Plus globalement un chômage structurel sévit depuis des années en France et avoisine aujourd’hui les 11% de la population active. Les emplois précaires sont occupés en partie par des jeunes diplômés et les salaires sont loin de s’aligner à leur niveau d’études. De son côté, le néo-libéralisme, doxa des institutions bruxelloises, a détricoter un tissu industriel français pour le réduire de moitié en 20 ans entraînant par ailleurs un fracture géographique de plus en plus vive entre d’une part un périurbain pauvre en emploi et en service et, d’autre part, des métropoles riche d’une offre de travail tertiaire.

On doit donc cumuler le contexte idéologique et économique pour bien comprendre l’expatriation et sa montée en puissance chez les jeunes diplômés et travailleurs français. En règle générale, ceux-ci croient, partiellement à tort, que l’Etat et la gouvernance de la France seraient la cause exclusive de cette débandade économique qui a progressivement rabaissé notre pays au rang des Etats suiveurs plutôt qu’à celui des Etats décideurs à l’instar de l’Allemagne, superpuissance industrielle et commerciale. C’est faire fi du contexte beaucoup plus global de la mondialisation. Nous y reviendrons en dernière partie.

Comment s’exprime-t-il ?



L’expatriation est un phénomène de plus en plus promu comme étant majoritaire dans notre société alors qu’elle n’est qu’en fait qu’une singularité. Pourtant tous les moyens sont bons pour aujourd’hui faire la part belle aux expatriés et légitimer quoi qu’il en coûte leurs décisions. Les grands journaux ne sont  avares en éloges sur ce sujet comme Le Figaro qui, dans son édition du 09 août 2016, titrait « «  Le choc culturel inversé » »pourquoi les expatriés ont peur de revenir ». On peut y lire au sujet de l’expatrié lambda qu’" Il est salarié d'une entreprise étrangère depuis au moins six ans, bénéficie d'un contrat de travail local, vit en couple. Et s'il tient à transmettre sa culture française à ses enfants, la France, elle, ne lui manque...pas vraiment. Voilà le profil type du Français résidant à l'étranger, tel qu'il a été établie par l'enquête IPSOS". A la question "diriez-vous que la France vous manque ?" 55% des expatriés interrogés "répondent Non". "Moi, je ne me suis jamais demandé le matin si mon pays me manquait !, tempère Hélène Conway-Mouret. Cela montre qu'ils assument leur choix". La quasi totalité (98%), en revanche, trouve important de transmettre leur culture à leurs enfants. Tous soulignent l'importance de la citoyenneté et de la nationalité française. Une grande majorité continue à suivre l'actualité politique. Et vote systématiquement aux élections nationales françaises".

On peut noter l’importance à leurs yeux de transmettre « leur culture » à leurs enfants. Mais quelle culture ? La culture française ? Comment peut-on transmettre une culture française, qui plus est avec passion, lorsque notre propre pays d’origine ne nous manque pas ? Si l’on pousse un peu plus loin peut-on aimer un pays, et en voie de conséquence sa culture, si celui-ci ne nous manque pas ? Une autre importance à leurs dires serait celle de la citoyenneté et de la nationalité française – on notera au passage le pléonasme – qui ne se traduit effectivement que dans l’octroi d’un statut, et non d’une culture. L’idéologie anti-française des années 70 a fait naître ce paradoxe d’une culture française apparemment chérie alors qu’elle n’est en réalité que méprisée dans ses origines ou détournée de son sens. Comment peut-t-on arguer que notre pays n’occupe guère nos pensées  alors que celui-ci, par un service public développé, nous a éduqué, maintenu en bonne santé, et permis d’accomplir de grandes études ? Comment glorifier la citoyenneté française quand celle-ci n’est utilisée, par une grande majorité des expatriés, que pour voter « aux élections nationales françaises » et non plus pour  s’honorer de notre histoire de France ; histoire de France qui au passage constitue ce long processus de création de notre citoyenneté.

On pourrait dresser une liste interminable de ses articles  faisant la promotion de ce mode de vie qui ne touche pourtant que peu de français (2 millions soit 3% de la population). Tous les journaux allant du Monde au Figaro, tout en passant par le Nouvel Obs, sont concernés par cette publicité idéologique de l’expatriation. Le monde politique s’y met aussi. Nous avons ainsi eu de 2010 à 2017 un ministère chargé des français vivant à l’étranger en charge d’organiser l’expatriation et le retour au bercail des expatriés français. La puissance publique n’est pas en reste pour conforter l’expatriation d’autant que notre modèle économique a un intérêt à promouvoir les conditions de ce style de vie. En effet le capitalisme, aujourd’hui mondialisé, ne peut prospérer que par la libération des frontières et la libre circulation des marchandises, des capitaux, et surtout des hommes. L’Etat, s’il n’est pas le dernier pour faciliter celles-ci n’a fait que suivre le mouvement idéologique post soixante-huitard qui a dressé « les droits de l’homme », y compris celui de se déplacer, au panthéon de leur pensée. La législation nationale, communautaire, et internationale apportera d'ailleurs sa pierre à cet édifice idéologique. Les années 80 verront l’adoption de l’Acte unique instaurant un espace européen sans frontières intérieures et au sein desquelles sera promu le grand marché intérieur. S’en suivront les années quatre-vingt-dix et le fameux traité de Maastricht avec sa citoyenneté européenne signifiant la liberté d’établissement, de séjour, et de circulation dans tous les pays de l’UE. Les compagnies aéroportuaires se réjouiront de tout cela par la multiplication des avions longs courriers et une concurrence féroce qu’elles se livreront jusqu’au sang par un matraquage de publicité et de promotion tarifaire. Le dilemme est ainsi affligeant : comment les jeunes générations d’aujourd’hui et à venir pourraient-elles s’émanciper de cette propagande appuyée aussi bien par les intellectuels, les médias, l’Etat français, et surtout les institutions internationales ? Cette combinaison d’acteurs idéologique, médiatique, et politique,  a donné progressivement naissance à l’individu hors sol que nous connaissons aujourd’hui, sans racine, souvent égoïste, promouvant une culture française conforme uniquement à ses utopies universalistes et qui ne s’arrête qu’à son passeport. 

Le paradoxe qu’il engendre :



Une incroyable contradiction se trouve dans le discours de ces expatriés ou de ces futurs expatriés qui s’en prennent à leur propre pays pour justifier leur mode de vie nomadiste. Dénonçant l’inertie française, le marché de l’emploi, la culture de vie française, passons en et des meilleurs, ils ne se rendent pas compte que c’est la globalisation culturelle, économique, et politique qui est à l’origine de leur désarroi. S’en prenant au marché de l’emploi, à leur  trop faible rémunération, à leur mode de vie en manque de repère, ils n’arrivent pas à percevoir que ce n’est pas l’Etat français qui organise tout cela mais bel et bien cette mondialisation, en grande partie anglo-saxone, utilisant tous les moyens pour mettre en œuvre la libre circulation des travailleurs et celle des capitaux au travers du droit et de l’immigration. En promouvant, par leur esprit et leur idéologie  nomade, le voyage et la liberté de vivre où bon leur semble, les expatriés, inconsciemment, participent au propre système qui les aliènent depuis maintenant plus de trente ans. Ils critiquent en effet un système, profitant à l’extrême de la notion de la mobilité, tout en profitant eux-mêmes de celle-ci. A être plus direct ils constituent ce que certains essayistes appellent « les idiots utiles du capitalisme mondialisé » et répondent par leur comportement à la célèbre diatribe de Bossuet : « Dieu rit des hommes qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes ». Ils ne sont pourtant pas les seuls. Combien d’ouvriers l’auteur de ce blog a-t-il entendu  en train de déplorer le manque de compétitivité de leur entreprise, glorifiant par là même un modèle économique prédateur et sournois, ne marchant que par la compétition des individus, et qui pourtant les chassent lentement mais sûrement du tissu économique et industriel français. 

Nous n’entendions pas ici blâmer n’importe quel expatrié français. Comme il a été dit leurs raisons sont souvent nobles et légitimes. Une partie des expatriés ne se reconnaîtront pas dans notre discours et nous en sommes  bien heureux et bien conscients. Mais nous avons surtout voulu dénoncer un phénomène qui reste minoritaire et qui tend à être présenté comme la panacée de nos soucis économiques ou existentiels. Ce phénomène de l’expatriation a accouché de certaines énergumènes à l’instar de Félix Marquardt, passant son temps à cracher sur son pays, et estimant que le salut de n’importe quel jeune français se trouve nécessairement à l’étranger. Loin de nous  l’idée que ce type d’original représente la pensée de tous les expatriés de France.


Non, ce que nous souhaitions mettre en lumière c’est ce sentiment de l’anti-France, maintes fois exprimés dans les journaux, par des jeunes travailleurs, des hommes et des femmes politiques,  qui se sont fait les champions, toutes catégories confondues, pour présenter la France comme une terre de désolation économique qui ne pourra plus jamais refleurir. Le problème n’est pas français il est civilisationnel. Comment réguler le moindre  mauvais effet du capitalisme financiarisé et mondialisé sur le marché du travail lorsque vous ne pouvez mettre en place une quelconque politique industrielle protectionniste – interdite par la libre concurrence et non faussée - ou économique – prohibée par la monnaie unique - à l’échelle nationale ? Comment promouvoir une culture française et former des citoyens fiers de leur histoire  à l’heure, comme le dit si bien Jean Pierre Chevènement, d’une globalisation devenue folle - et en grande partie dominée par les anglo-saxons il y a de cela maintenant 200 ans - et d’un différencialisme exacerbé ? Et surtout comment convaincre nos jeunes diplômés de rester en France quand ceux-ci participent eux-mêmes, sans s’en rendre compte, au système qui les aliène ? Le capitalisme mondialisé a fondé sa propre humanité…  Un grand défi sera de refonder une humanité décolonisé de ce système subversif. Mais ceci, bien évidemment, ne se résoudra pas à l’échelle de la France et certainement pas dans la quiétude.  

vendredi 21 juillet 2017

La rafle du Vel' d’Hiv : travestissement historiographique et flagellation nationale.


Le régime de Vichy, sous lequel s’est déroulée la Rafle du Vel d’Hiv, constitue l’un des épisodes historiques les plus controversés de l’histoire française. La période a d'ailleurs accouché d’un débat historiographique passionnant mais polémique.

Plusieurs thèses ont vu le jour jusqu’à aujourd’hui à ce sujet dans le milieu universitaire. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’idée de l’épée et du bouclier, avec un général combattant les allemands sur leur Empire et un maréchal protégeant les français de la joute allemande,  a émergé dans un contexte où le pouvoir en place entendait assagir le pays après une violente et meurtrière épuration légale et sauvage.

Le sujet s’est ensuite élargi sur ceux de la résistance et de la collaboration. De Gaulle, toujours à la recherche de donner un sentiment de grandeur nationale à ses “sujets“ français par une histoire magnifiée, clamera que la majorité de ceux-ci étaient de braves résistants et qu’une minorité seulement s'était illustrée dans la collaboration. Mais cette période de magnificence n’a duré qu’un temps. Effectivement, quelques années seulement après le départ du général en 1969, un ouvrage, La France de Vichy, de l’historien américain Robert Paxton, verra le jour et sera ralliée dans son point de vue par une majorité d’universitaires. L’idée générale de l’ouvrage consiste à démontrer que le régime de Vichy, loin de se contenter des exigences allemandes en termes de collaboration, est allé largement au devant de celles-ci par différentes prises d’initiative et un certain zèle dans l’exécution des ordres qu’il pouvait recevoir de l’envahisseur. Le gouvernement de Pétain n’était donc pas seulement collaborateur, il était la matrice-même de l’ensemble des mesures antisémites et xénophobes édictées et mises en œuvre sur son territoire.



C’est ainsi qu’une véritable doxa intellectuelle s’est constituée autour des idées de Paxton. Seul le point de vue de cet historien sur le régime de Vichy devait prévaloir sur les opinions, la moindre incartade universitaire sur le sujet étant immédiatement mise au  pilori. Ce phénomène intellectuel, loin d’être anecdotique relève à notre sens de l’émergence croissante des milieux universitaires, en grande partie animés par des intellectuels de la French Theory, dont le mort d’ordre sera la déconstruction de toutes les structures intellectuelles traditionnelles. C’est dans ce contexte historique, celui de la victoire culturelle des soixanthuitards, qu’a été publié l’ouvrage de Paxton. Celui-ci n’est donc pas la cause de ce remord permanent exprimé aujourd’hui sur Vichy mais justement le produit de l’évolution des milieux universitaires français qui ont grandement influencé ceux des américains dans les années 70 et dont Paxton sera l’archétype.

C’est donc dans ce cadre intellectuel, dominant et vindicatif, qu’est aujourd’hui analysée la rafle du Vel d’Hiv. D’après nos intellectuels, celle-ci constitue par excellence l’illustration française du système d’extermination nazi des juifs européens.  Quant aux hommes politiques, résistant jusqu’alors à la doxa paxtonienne, ils commenceront progressivement à souscrire à cette course à la repentance dont la ligne de départ sera tracée par le célèbre discours de Jacques Chirac en date du 16 juillet 1995. Le Président de la République reconnaîtra notre responsabilité nationale dans la rafle du Vel d’Hiv en estimant "que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français." Le discours fera une majorité de contents et une minorité de mécontents dans la classe politique.




Mais que s'est il réellement passé lors de la rafle du Vel d'Hiv ? En quoi ce sujet historique illustre-t-il cette controverse éternelle et française sur le régime du maréchal Pétain ? Comment la rafle et plus largement Vichy se sont vus travestis dans leur histoire par nos élites ? C'est le sujet de cet article. 


La rafle du Vel d’Hiv : faits et contexte :

En janvier 1942, une réunion de dignitaires nazis, plus connue sous le nom de la conférence de Wansee, donne naissance au lancement d’une opération d’extermination des juifs d’Europe à l’échelle industrielle. Fort des « bons résultats » de cette opération, Hitler, concentré jusqu’alors sur l’extermination des juifs orientaux, décide de procéder à celle des juifs occidentaux par l’opération “vent printanier“ (le cynisme n’était pas la dernière qualité du régime nazi…).

C’est dans ce contexte d’extermination que s’inscrit la rafle du Vel d’Hiv. Sur la base de l’opération “vent printanier “ Himmler et Adolf Eichmann fixent le nombre de 100 000 juifs français à déporter. Il est décidé dans un premier temps de procéder d’abord à la déportation de  40 000 juifs de la zone nord et de négocier celle des juifs de la zone sud avec le régime de Vichy. La question de la nationalité des juifs est ici importante. En effet, alors que l’opération ne  concerne initialement que les juifs de nationalité française, René Bousquet et Pierre Laval négocient avec les autorités allemandes pour ne déporter que des juifs apatrides. Le tri se fera aussi à l’échelle plus particulière de la maternité et de l’âge puisqu’en théorie (ce qui sera loin d’être le cas en pratique), « seuls » les juifs entre 16 et 60 ans, ne vivant pas en mariage mixte ainsi que les femmes non enceintes et n’allaitant pas, seront les malheureux élus de ce funeste convoi.  La rafle se déroulera finalement le 13 juillet 1942 et comportera 13 000 juifs apatrides. Seulement quelques dizaines en reviendront.


Un régime de vichy responsable de la rafle ?

Vichy, dans l’imaginaire collectif des hommes politiques et d’une grande majorité de nos concitoyens, serait exclusivement responsable de la rafle du Vel d’Hiv. La pensée daxtonienne interdit toutes subtilités, toutes contestations de ses thèses pour comprendre ce triste épisode : seule l’administration vychissoise décida la rafle, uniquement elle doit répondre de ses actes. Pourtant on en oublierait presque que les Allemands étaient à Paris.

C’est sous décision allemande que Vichy ordonna la déportation de juifs apatrides à partir du Vel d’Hiv et non de sa propre initiative. L’historiographie majoritaire retient pourtant que le régime de Vichy, jaloux de ses droits régaliens en partie exercés par les allemands, a négocié avec ceux-ci la rafle par les autorités françaises en contrepartie de compétences policières plus importantes - jusqu’alors exercées par les autorités allemandes - au bénéfice de l’Etat français. C’est d’ailleurs la thèse d’un historien spécialiste de Vichy, Henry Rousso, qui prend comme fait à l’appui la réunion entre René Bousquet, secrétaire général de la police, et le chef de la Gestapo en France, Karl Orberg en la situant temporellement avant la rafle du Vel d’Hiv et pour expliquer l’exécution de celle-ci par la police française. Le problème est que ce spécialiste, aussi respectable soit-il, commet une erreur factuelle redoutable. Effectivement, comme l’explique l’historien Alain Michel :

“Voici à titre d'exemple comment l'historien Henry Rousso a pu récemment tirer une conclusion péremptoire d'une erreur factuelle. Ce spécialiste reconnu de l'Occupation confond dans un «Que sais-je ?» consacré au régime de Vichy (…) l’accord concernant les questions policières conclu par René Bousquet, secrétaire général de la police, avec le chef de la Gestapo en France, Karl Oberg, début août 1942 - soit après la rafle du Vél d’Hiv - avec les négociations entre les deux hommes un mois plus tôt à propos de la décision allemande de réaliser une grande rafle de Juifs. De cette erreur que l’on veut croire involontaire, Henry Rousso tire la conclusion que le responsable de la police de Vichy a accepté la participation des policiers français aux arrestations des Juifs en juillet 1942 en échange d'un renforcement de l'autorité de l'État français. La chronologie montre qu’il n’en est rien mais ce genre d’imprécision, imperceptible aux yeux des lecteurs non avertis, contribue à renforcer une vision erronée de l’Histoire.“

René Bousquet et Pierre Laval

Voici une première rectification. Mais qui a décidé finalement de la déportation ? Alain Michel nous éclaire encore sur ce point.  Il précise ainsi que c’est Eichmann qui, au cours d’une réunion du 11 juin 1942, décide “que [le] RSHA (SS-Gestapo) déporterait de France vers l’Est 100.000 juifs en 1942 au lieu des 5.000 initialement prévus“. Plus tard, Théo Dannecker, représentant d’Adolf Eichmann en France "décide dans un premier temps de déporter 40.000 Juifs de la zone nord". Plus particulièrement il était prévu de déporter 22.000 Juifs adultes de la région parisienne avec 40% de Juifs français. On est donc loin d’une stricte décision de Vichy au sujet de la déportation.

En revanche on peut concéder que c’est bel et bien l’Etat français et notamment la police de la zone Nord qui a procédé à la rafle mais - et il y a ici un gros « mais » - sous la pression des Allemands qui, à cette époque, pouvaient utiliser la police française de la zone Nord selon leur bon vouloir pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les allemands, depuis 1940, présentent les mesures d’arrestations des Juifs comme rentrant dans le cadre des mesures de sécurité de l’armistice pour faire pression sur la police française et la domestiquer. Ensuite, Vichy ne s’est pas opposé à cette interprétation audacieuse des règles d’armistice de la part des allemands. Pour quelles raisons ? Tout simplement parce qu’il demeurait la partie faible dans la négociation avec les allemands et qu’il préfèrait la ruse à l’épreuve de force. Aussi ne faut-il pas oublié, contrairement à des clichés véhiculés ici et là, que la question juive n’est pas centrale, ni pour Vichy, ni pour la police française, ni pour les français. La police française n’était donc qu’un instrument extrêmement maniable aux mains des allemands. 

Certains politologues et journalistes vont même plus loin, à l’instar d’Eric Zemmour qui estime que Vichy a sauvé 95%  des juifs français. Ses propos ne sont pas sans fondements puisque Raul Hilberg, grand historien sur la déportation des juifs européens, estime au sujet de Vichy que sa politique de déportation a consisté à ce que l’on épargne une fraction (les Juifs apatrides) pour sauver une grande partie de la totalité (les Juifs français). Zemmour s’appuie d’ailleurs sur ces différentes études, que ce soient celles d’Alain Michel ou de Raul Hilberg, pour conclure que Vichy a sauvé volontairement de la mort bon nombre de juifs nationaux. De surcroît, il affirme que les mesures discriminatoires qu’a prises le gouvernement français à l’encontre des juifs auraient été justifiées pour des raisons patriotiques - celles d’en sauver une majorité - contre des concessions faites à leur sujet à l’égard de l’envahisseur allemand.  Mais le journaliste polémiste ne saurait écarter, comme il le fait peut être involontairement, le contexte international pour expliquer cette attitude de Vichy. François Delpa explique ainsi que les allemands agissent avec doigté durant l’occupation avec une Etat français encore puissant sur le plan international et qui pourrait, en cas de conflit politique, aggraver leur situation déjà très préoccupante sur le front de l’Est.

     Pour finir, on peut rappeler, non sans malice, que l’ambassadeur américain, à  la veille de la rafle, appelle Pierre Laval pour lui signifier la honte qu’il ressent pour son homologue français concernant cette déportation. Et Pierre Laval de lui répondre très sérieusement que s’il les souhaite il peut les prendre et que Vichy ne les donnera pas ainsi aux Allemands. Or, les américains refusent  de les prendre en raison de quotas d’immigration légaux contenus dans des lois de 1921 et 1924. Paxton peut aussi balayer devant sa porte.

   Le sort des juifs apatrides s’expliquent davantage, si ce n’est exclusivement, en raison des initiatives allemandes sur ce sujet et non celles françaises. Quant aux Juifs nationaux, Vichy a peut être procédé à leur survie par patriotisme…ou non. Quoi qu’il en soit le contexte international aura aidé Vichy à cette entreprise de sauvetage involontaire ou volontaire qui sera en grande partie à l’origine de la survie majoritaire des juifs contrairement aux thèses présentées par l’avocat Serge  Klarsfield selon lesquelles la plupart des juifs en France ont été sauvés par des justes. 


Vichy ou le travestissement de l’histoire politique :

Le travestissement historique de la période de Vichy n’a, hélas, pas seulement concerné la relation entre le gouvernement et les juifs de cette époque ou plus particulièrement la rafle du Vel d’Hiv. Ainsi l’histoire de la résistance s’est elle aussi retrouvée galvaudée durant 60 ans. De Gaulle a commencé le roman de la résistance par le «nous sommes tous résistant » alors que les communistes parlaient de leur parti comme celui des «75 000 fusillés ». L’un comme l’autre savait qu’il mentait et tous deux l’ont fait pour des raisons politiques : de Gaulle pour sa hantise de la culpabilisation des français, les rouges par l’ivresse d’une puissance politique et électorale aujourd’hui réduite à néant. Une période inverse s’en est suivie où chacun suspectait l’autre d’avoir collaboré sous Vichy. Le roman noir s’est substitué au roman bleu, blanc, rouge, et Paxton a su en profiter. Plus tard, la découverte du passé vichyste de François Mitterrand et les procès de Klaus Barbie, René Bousquet, ou encore Paul Touvier, ne feront qu’alimenter la machine de la repentance déjà mise en route depuis les années 70.

Loin d’être uniquement une question quantitative - celle du nombre de français résistants - la résistance verra son histoire gribouillée par des historiens, journalistes, et intellectuels, cherchant à faire entendre que la résistance fût majoritairement de gauche, notamment communiste, et que la collaboration regroupa en grande partie l’extrême droite, plus particulièrement celle de l’Action Française . D’autres historiens, plus timides – d’autres diraient plus objectifs – , comme Olivier Wievorka, jugent quant à eux que la résistance et la collaboration trouvèrent en réalité dans leur rang respectif aussi bien des rouges, que des cagoulards ou des monarchistes. Mais certains historiens sont plus franc-tireur que d’autres, à l’instar de Simon Epstein qui, dans son ouvrage "Un paradoxe français", a démontré que la majorité des résistants était issue de l’Action Française et que celle de la collaboration était issue des socialistes. Sa démarche intellectuelle a consisté à retrouver et à comparer le parcours des dreyfusards et des antidreyfusards sous le régime de Vichy. Elle sera à l'origine d'une surprenante  découverte : les dreyfusards, souvent socialistes et animés par un pacifisme béat par lequel le juif sera le bouc émissaire et l’obstacle de leur paix tant chérie, collaborent en grande partie avec Vichy alors que les antidreyfusards, venant pour la plupart de l’Action Française et excités en grande partie par un sentiment germanophobe, se retrouvent à Londres devant le général de Gaulle. L’historien fournit à l’appui de sa démonstration des listes interminables de ces deux catégories politiques tout en publiant des discours militants très révélateurs sur les motivations de l’un et l’autre camp.

L'ouvrage de Simon Epstein, sorti dans un silence médiatique plutôt révélateur...

Emmanuel Macron, qui n’est pourtant pas un ignorant, suivra la même attitude que Chirac sur la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Il adoptera en plus un discours larmoyant, peut être théâtral, pour déclarer que :

“Récemment encore, ce que nous croyions établi par les autorités de la République sans distinction partisane, avéré par TOUS les historiens, confirmé par la conscience nationale s’est trouvé contesté par des responsables politiques français prêts à faire reculer la vérité. C’est faire beaucoup d’honneur à ces faussaires que de leur répondre, mais se taire serait pire, ce serait être complice (…).  Je récuse les accommodements et les subtilités de ceux qui prétendent aujourd’hui que Vichy n’était pas la France, car Vichy (…) c’était le gouvernement et l’administration de la France.“
Le Président de la République accuse donc le coup. Parlant de «tous les historiens » qui auraient confirmé la vision de la rafle qu’il présente dans son discours, Emmanuel Macron en oublie pourtant une partie, une minorité, «ces faussaires» comme il les appelle, qui vont pourtant à contre-courant de ce qu’il présente comme la «vérité». Or, Alain Michel, Raul Hilberg, Simon Epstein sont tous des historiens juifs et tous ont souffert directement ou indirectement de la période 39-45 ; c’est dire la probable distance que l’on peut leur accorder sur ce sujet.


Quant au «gouvernement» et à «l’administration de la France », soit disant coupables de la rafle, on a vu que le contexte géopolitique et politique du moment peuvent grandement «relativiser» (un gros mot aujourd’hui pour la doxa dominante) la responsabilité du gouvernement de Vichy dans la rafle du Vel d’Hiv. Et nous persistons : Vichy, en effet, «n’était pas la France». Vichy, bien que gouvernement légal, perdra sa légitimité aux yeux des français pendant que la France libre se la verra octroyer de leurs mains tout au long de la seconde guerre mondiale. L’histoire nous l’a prouvé. Comme le disait feu Philippe Séguin (qui était juif lui aussi), « si Vichy c’est la France alors Charles de Gaulle n’est qu’un petit général rebelle. ».