mardi 3 octobre 2017

Mélenchon : le dernier des rhéteurs


Le 19 aout 1951, la ville tumultueuse de Tanger voit naître en son sein Jean Luc Mélenchon. Cette ville multiculturelle, située à l'extrême gauche du carrefour méditerranées,  transposera sa caractérisation géographique et culturelle à la position politique et idéologique à ce jeune pied noir. Le déménagement forcé de sa terre natale vers la métropole française - à la suite du divorce de ses parents - constituera une fracture qui ne se refermera jamais. Cette épisode tragique influence encore aujourd'hui son discours au sujet de l'immigration et sa dénégation systématique, et paradoxale des enjeux et des conséquences  de cette dernière sur le monde ouvrier qu'il glorifie tant.

Méloche s'adapte mal à sa vie métropolitaine. L'humidité normande, le froid jurassien, et la placidité française, mettront vite à l'épreuve sa juvénilité bouillonnante et son habitude aux chaleurs marocaines. Rapidement, face à cette adversité, le jeune Jean Luc fait abstraction de tout. Il théorise tout ce qui l'entoure tel l'explorateur d'un nouveau continent. Cette attitude le mènera tout droit à des études de philosophie dont il tirera cette faculté à l'explicitation de la vie politique. Son passage à l'université sera d'ailleurs pour lui l'occasion de développer une rhétorique marxiste encore présente  aujourd'hui dans toutes ses interventions médiatiques et parlementaires. Son parcours universitaire le conduira à une titularisation professorale. De là, il passera de la rhétorique à la pédagogie, deux notions qu'il saura si bien mêler à l'avenir en utilisant des phrases complexes et pourtant intelligibles  qui le distingueront de ses trop nombreux adversaires accoutumés au langage technocratique et monotone. Certes le marxisme le séduit, mais débattre de la défense ouvrière ne lui suffisant pas, il se dirigera promptement vers un syndicalisme pourtant déjà en pleine défaillance dès cette époque libertaire des années 70. Il tirera de cette vie politique et syndicale aussi bien ce bon réflexe expressif des manifestations et des "meetings" jauressiens - tant illustratifs de son pouvoir charismatique - que cette mauvaise et systématique réaction sectaire, si commune aux gauchistes culturels de notre temps à l'encontre de tout ce qui représente leur antagoniste.

Son passage au Parti Socialiste constituera la rampe de lancement d'une carrière aussi surprenante qu'insolente. Surprenante par la trajectoire du plus jeune député sénateur "roturier" de son époque - à la différence de bon nombre de ses collègues.  Insolente par le virage anti-unioneuropéenne à 380 degrés qu'il empruntera à l'encontre de ses camarades solfériniens, comme il les appellera, à partir du TCE de 2005. Loin de se contenter d'une dissidence parlementaire, Mélenchon saura profiter de cette scission avec ces faux socialistes pour monter de toutes mains un parti constitué...par d'aussi illusoires et contradictoires socialistes.


Le leader charismatique et son insoumise 

Mélenchon est incontestablement un leader charismatique. Ce concept, loin d'être attaché à sa seule personne, appartient à la doctrine de Max Weber selon laquelle le leader se caractérise par une "autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu [...], par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef". Dur de ne pas reconnaître dans cette définition la figure de Mélenchon notamment aux yeux de ses Insoumis. La qualité exemplaire en question correspondant certainement au charisme du personnage qu'il assoit sur un immense socle culturel et une rhétorique souvent implacable. Ancien Trotskiste, Mélenchon est passé par la phase de l'autocritique et des débats internes qui lui ont certainement donné ce goût pour le débat contradictoire. Comme le dit si bien un chroniqueur polémiste : " Les élèves de Léon sont aux communistes ce que les jésuites sont au catholicisme ; une formation de redoutables rhétoriciens qui n'ont pas leur pareil pour détruire leur adversaire dans une joute oratoire". Cette faculté du débat, nous la retrouvons également chez Marchais mais aussi bon nombres d'autres candidats charismatiques, perdants ou gagnants de la politique, et qui n'avaient pour autant pas ralliés les troupes trotskites : Mitterrand, Chevènement, J.M Lepen, Pompidou, Séguin, etc ; tous ont su, par leur verbe, galvauder les foules pour leur cause. Là où les politiques de "l'ancien monde" se distinguaient, non seulement par leur éloquence, mais aussi par leur passé héroïque et leurs actions pour la patrie, l'ensemble de nos tribuns contemporains,  Mélenchon compris , contrastent uniquement par leur maîtrise de l'art  oratoire à l'époque où règne une parole politique aseptisée et ennuyeuse. 

L'Insoumis demeure donc certainement l'un des derniers rhéteurs de son temps, celui d'une Vème République trop monarchique à son goût. Entouré par des prétendants au trône présidentiel ne parlant que par des slogans publicitaires, des chiffrages à outrance, ou un économisme de comptoir, notre plébéien revient à une narration politique se rapprochant de l'humain, des "gens" comme il le dit si souvent.  Mais cette discordance et cette notoriété n'arrangent pas son parti, la France Insoumise, habituée aux discours déconstructeurs à l'encontre du paternalisme et des traditions. En effet, la "transversalité", cachée sou le vocable de démocratie directe, est promeut tous azimuts par nos Insoumis qui ne vénèrent pas moins paradoxalement ce bon vieux Méloche, quasi figure de leader paternel à leurs yeux ébahis. Pourtant, le transversalisme est un concept managérial anglo-saxon institué dans l'organisation du travail ouvrier pour saper la solidarité encore résistante des travailleurs industriels. Le concept est simple : tout le monde est responsable de tout, tout le monde est susceptible d'être fautif, et tout le monde se dispute avec tout le monde.Tout ceci dans le but d'annihiler n'importe quel degrés de collectivisme dans le salariat. Il est étonnant qu'une organisation se prétendant aussi "marxiste" s'enorgueillit de transcrire ce concept à son organisation politique et partisane. Sans doute pour se rapprocher d'une société moderne ou le patriarcat n'est plus qu'un cadavre en bord de route et l'autorité qu'une idée nauséabonde pourfendue par nos chers pédagogistes. Restant à chercher loin de l'image d'un prolétariat encore un peut trop patriarcal, les Insoumis se sont éloignés dès leur création d'un électorat ouvrier qu'ils prétendent pourtant encore aujourd'hui défendre. Il faut dire que ce dernier est davantage sensible aux cordes du souverainisme ,et de ce que cela induirait positivement pour son emploi, qu'à l'utopisme de ces "news" socialistes. En effet, lorsque le parti de Mélenchon se retourne vers la salle de meeting, aucun prolétaire ou presque, seulement quelques syndiqués, le reste étant principalement composé d'une large classe moyenne, de petits fonctionnaires, d'enseignants, et de jeunes déçus par la mondialisation mais n'ayant pas encore compris - peut être par juvénilité - le lien incontestable et réciproque entre le progressisme et le marché qu'ils combattent (Nous renvoyons à "L'empire du moindre mal" et "Le complexe d'orphée" de Jean-Claude Michéa sur ce sujet ).


Pourrions nous sincèrement imaginer un Alexis Corbière ou une Clémentine Autain à cette place (à partir de 1:25 jusqu'à 3:10) ?

Les mélenchonistes cherchent à tempérer au maximum la figure ombrageante de Jean Luc Mélenchon. Pour ce faire, tous les moyens sont bons : le nom du parti (je suis un Insousmis, non un mélenchoniste ), le jeunisme , la parité dans le groupe parlementaire, bref, tout autant d'idées de notre monde moderne pour essayer de cacher cette dépendance manifeste de la pérennité du parti à l'égard de son chef. Pour se convaincre de cette thèse, imaginons un tant soit peu Mélenchon  ne se représentant pas à la direction du parti ou à l'élection présidentielle. On peut imaginer sans trop de difficultés la guerre partisane qu'il y aurait alors lieu  au sein de la France Insoumise. Le départ de Mélenchon du rang des Insousmis signifierait certainement le début d'une fin, celle d'un parti qui mourrait ironiquement d'un objectif qu'il a toujours cherché à respecter : l'absence d'un leader.


Un marxisme contradictoire 

On l'aura compris, Mélenchon demeure malgré lui une figure patriarcale qu'il n'assume pas publiquement. Il s'approche à cet égard davantage du "père de la Nation", que De Gaulle a cherché à inscrire dans la Constitution, que du "révolutionnaire citoyen" théorisé par nos mélenchonistes. Pourtant, même Macron, adepte du transversalisme et du managerisme comme organisations gouvernementales, essaie, sans réel succès, d'utiliser la figure paternelle pour galvauder ses troupes : "parce que je vous aime, je vous ai compris". La figure paternelle dispose d'un attrait certain pour l'homme politique. Pour tout dire, l'intelligence de Mélenchon et ses compétences de rhéteurs font penser sans hésitation au candidat traditionnel de la Vème République : un homme politique intellectuel, cultivé, et éloquent. On retrouve ici une première contradiction dans l'idéologie de Mélenchon : celle de vouloir saper une Vème République qui s'associe pourtant si bien à la stature d'un leader charismatique, qu'il incarne, et dont les marxistes se sont très bien contentés pendant longtemps ; Lénine,Staline, ou encore Mao Tsé Toung en  étant aujourd'hui les preuves funestes de cet accommodement.

Pourquoi alors cette volonté de mettre à bas cette Constitution qui lui siérait pourtant si bien ? C'est que pour Mélenchon, l'histoire de France commence en 1789. Selon lui, l'ère révolutionnaire saurait expliquer à elle seule ses visions politiques. Robespierre - auquel notre tribun se réfère souvent pour expliquer ses positions - constitue l'archétype du révolutionnaire antimonarchiste souhaitant mettre à bas la figure du Père de la Nation incarnée par le roi Bourbon. Le leader de la France Insoumise ne cherchent rien de moins lorsqu'il dit vouloir abattre "le monarque présidentiel" à la tête du Gouvernement. De même, alors que la Terreur souhaitait en finir avec l'emprise du religieux dans la société française, notre rhéteur souhaite, par une laïcité arrangée à sa sauce, soustraire le religieux de tout débat politique - niant par là, comme ses aïeuls révolutionnaires, l'essentialisme de l'individu et son influence dans le discours politique. Pour Mélenchon, l'histoire de notre République commence à la Révolution (et votre serviteur a longtemps partagé cette même opinion, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui); aucune continuité entre l'Ancien Régime et la Révolution ne saurait expliquer l'état des lieux actuel de notre régime politique. Seulement voilà, un autre personnage de grande stature avait compris, à rebours des idées de Mélenchon, la continuité historique et politique entre les temps anciens et les temps nouveaux. Ainsi de Gaulle avait-il, en remettant un monarque à la tête d'une République, prétendu par là régler un problème français datant de 200 ans, celui de la décapitation du monarque par ses propres sujets. Mais ne commettons pas l'erreur de prendre notre Mélenchon pour un anticlérical ou un révolutionnaire forcené rejetant toute autorité forte à la tête de l'Etat, aussi  paternelle et charismatique soit-elle. N'oublions pas l'attrait du personnage pour les "hommes forts" - d'autres diraient dictateurs - de l'Amérique du sud comme Hugo Chavez. Quant à ce laïcisme forcené qu'il invoque, il ne saurait cacher le fait que nous avons déjà entendu notre plébéïen admettre au travers de divers entretiens "qu'un dirigeant politique se disent inspiré par la foi dans ses décisions, [et qu'il n'avait pas] de contestations à ce sujet". Soulignons que Mélenchon, aussi surprenant soit-il, a été littéralement un enfant de chœur dans sa jeunesse. La duplicité est en tout cas de mise. La considération d'un importance de la religion dans les orientations politiques, la manière d'entretenir les brumes sur ses véritables opinions dans le débat public...cela ne nous rappelle-t-il personne ? Machiavel n'est peut être pas le dernier auteur à être présent dans la bibliothèque de notre vieux tribun...


Le leader Insoumis a fait du combat contre le grand patronat son principal cheval de bataille. Or, si Mélenchon présente une première contradiction par sa propre personnalité à l'égard de l'esprit monarchique de la Constitutoin de 1958 qu'il souhaite abattre, il en présente une seconde sur ce même sujet. Philosophe abondement marxiste, il a cherché, sous couvert d'adaptation de ce courant de pensée à notre société moderne, à en occulter les fondements doctrinaux définis par le célèbre penseur d'outre Rhin. Il en est le cas lorsque notre philosophe post-marxiste évoque le sujet de l'immigration en partant du postulat selon lequel "c'est le banquier le problème, non l'immigré". Qui dirait le contraire ? En quoi un individu étranger est-il susceptible de constituer à lui seul un problème plus global qui ne peut s'étudier qu'à une échelle systémique. Mais Mélenchon confond volontairement l'"immigré individu" avec l'"immigration système". Il semble amalgamer les deux noms pour taire toute critique sur le sujet. Il condamne la libre circulation des capitaux, des biens, et des services, sans juger celle des hommes alors que celle-ci et ces dernières sont intrinsèquement liées dans cette économie de marché qu'il prétend combattre. Allez donc proposer à un groupe international de s'installer en zone franche urbaine, exonérée de toute fiscalité locale, si il doit payer des salariés locaux dont le coût leur reviendrait au total plus cher... Mélenchon se voile la face - à notre sens volontairement - sur ce que Marx appelait "les réserves du capitalisme". Évoquant par ce terme l'immigration, Karl Marx la désignait comme un processus et  un moyen dont disposait le patronat pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. Le marché est une finalité, l'immigration, et la libre circulation qu'elle induit, un moyen. Répétons le, l'immigration, comme système, a toujours constitué un sujet de prédilection pour les marxistes. Dans son sens marxiste originel, on peut dénoncer un phénomène migratoire et son utilisation par le grand patronat sans pour autant passer pour un facho ou un quelconque "phobe". Pourtant Mélenchon est toujours frileux à aborder ce problème de face. On lui concédera qu'il prétendait combattre celle-ci par la fin du conflit syrien. C'est rapidement occulté le fait que la géopolitique n'est qu'un facteur parmi tant d'autres pour favoriser le processus migratoire. Le rôle du droit, notamment celles de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et de la réglementation de l'Union Européenne, comme uniformisateur dans la mobilité des individus est étonnamment passé sous silence par le leader Insoumis.



Le marxo-trotskisme modernisé à la sauce mélenchon est un code inversé. C'est ainsi que nous avons vu le patron de la France Insoumise s'exclamer avec fierté lors de la rentrée parlementaire qu'il y aura des "sans cravates comme il y a eu des sans culottes". Et de voir ces messieurs dames du mouvement s'afficher en costard saillant sans l’abominable attribut vestimentaire aristocrate que constitue à leurs yeux cette flèche en tissu. Pourtant, si le sansculotte représente la marque du peuple sous la période révolutionnaire, "le sans-cravate", en revanche, a été instauré par des élites capitalistes mondialisées à l'instar de Steeve Job, précurseur en la matière. Mélenchon devrait aussi davantage se référer à ses aïeuls politiques : Blum, Jaurès, Hugo, et Lamartine, revêtaient la cravate ou la tenue vestimentaire des maîtres pour offrir une dignité bourgeoise aux ouvriers. Robespierre lui n'a jamais ôté sa perruque ou son bas de soie pour représenter le peuple. Il n'y a qu'une seule culture, - y compris vestimentaire - celle des dominants, et il n'y a que par elle que l'on combat ces derniers. On combat un adversaire par ses propres armes, y compris l'immigration et la cravate.

D'abord favorable à une Europe de Maastricht, Mélenchon a vite compris l’instrumentalisation de la construction européenne au profit d'une Allemagne pratiquant dans les années 90, et par avance pour se préparer à l'instauration de la monnaie commune, un ordolibéralisme à un rythme que ses plus puissants voisins, y compris la France, ne pourront suivre dans les années 2000. Sa césure avec les lubies européennes s'est opérée au moment du référendum de 2005 lors duquel il a soutenu le non qui l'emportera. Il a rapidement compris que le peuple français, tout comme aujourd'hui, ne souhaite plus de cette Europe libérale à la sauce Merkel, rigide, et obsédée par une seule chose : l'emprise du marché sur n'importe quel pan de notre vie publique et privée. Mais notre grand Insoumis croit encore, selon son programme,  à la reconstruction de l'Union Européenne pour en faire "une Union de la Paix, de solidarité et d'écologie". Il souhaite en premier lieu "rediscuter les traités" à ses vues avant, éventuellement, d'employer le plan B, c'est à dire la sortie en pure forme de l'Union Européenne. Mais Mélenchon est suffisamment intelligent pour comprendre que la chancelière de fer allemande ne cédera jamais à la vision européenne des Insoumis. Il sait que l'Allemagne, aussi affaiblit soit-elle sur le plan géopolitique internationale,  reste très puissante à cet échelle sur le plan européen. Il conçoit parfaitement, notamment depuis la crise grecque, que la rupture avec l'ordolibéralisme allemand ne pourra se faire qu'au travers, malheureusement, d'une sécession brutale avec l'Union Européenne. Ses idées pour l'Europe sont pourtant intéressante et se rapproche étonnement des idées macroniennes sur le sujet : instauration d'un budget commun, perspective d'une Europe sociale etc. Il aura encore besoin de beaucoup de rhétorique pour cette lourde tâche. Mais cela suffira-t-il ?






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