« Les
grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le
départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les
noms magnifiques des villes inconnues... ». Joseph Kessel.
Voyager est
un bienfait, on ne saurait le contester.
L’homme est nomade par sa nature. Excitation ou déception, joie ou tristesse,
bonheur ou malheur, tous ces sentiments le voyageur les côtoie sur son
périple aussi long ou court soit-il. Tout ceci participe à une stimulation de l’esprit
du baroudeur qui, quoi qu’il en soit, tirera toujours de son odyssée une
expérience productive. La connaissance d’une autre culture, d’une autre flore,
d’une autre société, d’une différente organisation familiale, ne peut
qu’aiguiser notre point de vue sur notre propre vie et celle d’autrui.
A l’ère du
loisir, voyager est presque devenu une mode. Les agences de voyage, les pages
Facebook, les sites pour «travelers», sont là pour en témoigner. Les
destinations s’enchaînent comme des collections vestimentaires, on passe de
l’Australie (lieu de prédilection il y a de cela quelques années) au
Canada (aujourd’hui la terre promise
pour bon nombre de jeunes français) comme on passerait d’une chemise unie à une chemise rayée chez
Jules. Et les moyens pour atteindre ses lieux se sont développés. Se déplacer
de Paris au Québec est devenu aujourd’hui aussi banal et facile que de passer de la haute
à la basse normandie. Les billets sont à des prix toujours de plus en plus
attractifs (on trouve des vols à 50 euros l’aller retour entre la France et
l’Espagne !), la publicité appelant au voyage omniprésente (d’autres
diraient agressive), sans parler des
logements de plus en plus ubérisés au grand détriment des moyens d’hébergement
plus traditionnels comme l’auberge de jeunesse, l’hôtel, ou encore le gîte.
Pourtant
cette facilité de se déplacer ne répond pas nécessairement à un attrait de plus
en plus important de notre civilisation occidentale au voyage. Elle correspond
en grande partie à notre mode de société, politique, et économique, et non
seulement à notre goût de l’aventure en tant que petit bourgeois Bohême. Plus que
voyager, beaucoup de nos contemporains souhaitent vivre tout simplement hors de
leur pays d’origine. Les motivations sont souvent d’ailleurs toutes aussi
différentes que louables : un meilleur salaire, une autre vie, une famille
vers qui l’on souhaite se rapprocher, un esprit de nomade… Mais s’agit-il
encore d’un voyage ? Non. Et pourtant la facilité de s’installer à l’extérieur de son pays
profite tout autant de cette liberté de déplacement tant chérie par les
voyageurs. Or, la notion de déplacement et tout ce qui l'entoure est très
chère à notre civilisation libérale.
On ne s’étonne plus aujourd’hui
de voir une partie de la génération des
trentenaires, nourrie à l’idéologie libérale depuis sa naissance, abandonner
famille et patrie pour travailler ou vivre à l’autre bout de la planète. Sa
pensée en est d’ailleurs affectée. Voyager est devenu davantage un mode de vie
qu’un simple loisir. La jeunesse voit la frontière comme un obstacle et non une protection. Pire, l’enracinement n’est qu’une perte de temps, une
entrave à la carrière professionnelle, un synonyme d'enchaînement insupportable
aux traditions locales nous transformant petit à petit en «radis» (c.f Jacques Attali).
La mobilité serait ainsi faite pour les « winners », alors que l’immobilisme
ne serait destiné qu’aux « loosers ». Dans une certaine
extrémité il n’est pas rare que certains aillent jusqu’à critiquer leur
propre pays, une patrie gâcheuse de
talents, qui ne saurait tirer profit de toute sa potentialité, comme nous le
rabâche à longueur de journée la caste médiatique. Croyant que son malheur ne saurait trouver son origine que dans la
manière dont est gouvernée la France – ce qui n’est pas totalement faux – cette
génération ne se rend pas compte qu’elle entretient, par ce comportement de
nomade, le propre modèle de civilisation qui l’exploite et l’avilie. Un modèle qui
fait d’ailleurs feu de tout bois pour subordonner ces jeunes à ses propres
lubies.
Pourquoi ce culte de l'expatriation ?
Les années soixante dix ont
constitué une importante période catalysatrice sur la mentalité des plus jeunes
générations. Beaucoup d’historiens, de sociologues, de journalistes, louent Mai
68 pour avoir commencé ce travail de renouveau culturel alors qu’il parait
pourtant simpliste de réduire ce bouleversement des mentalités à une révolte
étudiante et ouvrière de quelques jours. Non, cette transformation sociétale
trouve ses origines bien avant les évènements de soixante-huit. En effet, le
début des années soixante connaitra une foultitude de temps
« progressistes ». Pour exemple, l’occident connait peu à peu la
pilule contraceptive, par ailleurs légalisée en France par la célèbre loi Neuwirth,
le prêt à porter fait son apparition et casse les codes de la haute couture,
les yéyés envahissent la France et la popmusique nos walkmans, et les hippies
se démarquent par leur idéologie antimatérialiste et leurs mœurs légères.
Toutes les traditions et structures sociales, familiales et politiques sont
déjà subrepticement battues en brèche. Mai 68 ne sera qu’un coup de haut
parleur de cette époque libérale et les années soixante-dix n’en seront qu’une cristallisation.
Celle-ci se réalisera grâce à la génération soixante-huitarde qui, dès la
démission du monarque présidentiel en 1969, prendra progressivement les rênes
des différents pouvoirs politique, médiatique et culturel français et
imposera sa vision du monde et son idéologie à la postérité.
Cette idéologie se caractérisera
par le rejet de tout ce qui aura attrait au patriotisme, au local ou à l’autochtone
alors que la diversité, l’immigration, l’hédonisme, et le sans frontiérisme
seront quant à eux promus en grande pompe.
Les générations des années soixante-dix jusqu’à aujourd’hui seront endoctrinées
par ce corpus idéologique qui ne
s’exprimera désormais qu’en termes de droit individuels et de libertés. Plus
aucune restriction à ceux-ci ne saurait être admise et on n’oserait a fortiori
aborder la moindre entrave à la liberté
de déplacement et d’installation qui constitueront les conditions d’un quasi
nouveau mode de vie.
On ne saurait pourtant expliquer
entièrement l’attrait pour l’expatriation ressentit nos jeunes français si l’on
occulte le contexte économique. En effet différents facteurs sur ce sujet
peuvent expliquer cet engouement de la
jeune génération, souvent très diplômée, pour ce phénomène. Il nous faut pour cela dresser un tableau
de la force économique française, ce qui s'avère être un
exercice déprimant. Voyons plutôt. Le taux de chômage pour les plus jeunes français en âge de
travailler à été multiplié par 3.5 en 40 ans. Plus globalement un chômage
structurel sévit depuis des années en France et avoisine aujourd’hui les 11% de
la population active. Les emplois précaires sont occupés en partie par des jeunes diplômés
et les salaires sont loin de s’aligner à leur niveau d’études. De son côté, le
néo-libéralisme, doxa des institutions bruxelloises, a détricoter un tissu
industriel français pour le réduire de moitié en 20 ans entraînant par ailleurs
un fracture géographique de plus en plus vive entre d’une part un périurbain
pauvre en emploi et en service et, d’autre part, des métropoles riche d’une
offre de travail tertiaire.
On doit donc cumuler le contexte
idéologique et économique pour bien comprendre l’expatriation et sa montée en
puissance chez les jeunes diplômés et travailleurs français. En règle
générale, ceux-ci croient, partiellement à tort, que l’Etat et la gouvernance
de la France seraient la cause exclusive de cette débandade économique qui a
progressivement rabaissé notre pays au rang des Etats suiveurs plutôt qu’à
celui des Etats décideurs à l’instar de l’Allemagne, superpuissance industrielle et commerciale. C’est faire fi du contexte
beaucoup plus global de la mondialisation. Nous y reviendrons en dernière
partie.
Comment s’exprime-t-il ?
L’expatriation est un phénomène
de plus en plus promu comme étant majoritaire dans notre société alors qu’elle
n’est qu’en fait qu’une singularité. Pourtant tous les moyens sont bons pour
aujourd’hui faire la part belle aux expatriés et légitimer quoi qu’il en coûte
leurs décisions. Les grands journaux ne sont avares en éloges sur ce sujet comme Le Figaro qui, dans son édition du 09 août 2016, titrait « « Le
choc culturel inversé » »pourquoi les expatriés ont peur de
revenir ». On peut y lire au sujet de l’expatrié lambda qu’" Il est salarié d'une entreprise étrangère depuis au moins six ans, bénéficie d'un contrat de travail local, vit en couple. Et s'il tient à transmettre sa culture française à ses enfants, la France, elle, ne lui manque...pas vraiment. Voilà le profil type du Français résidant à l'étranger, tel qu'il a été établie par l'enquête IPSOS". A la question "diriez-vous que la France vous manque ?" 55% des expatriés interrogés "répondent Non". "Moi, je ne me suis jamais demandé le matin si mon pays me manquait !, tempère Hélène Conway-Mouret. Cela montre qu'ils assument leur choix". La quasi totalité (98%), en revanche, trouve important de transmettre leur culture à leurs enfants. Tous soulignent l'importance de la citoyenneté et de la nationalité française. Une grande majorité continue à suivre l'actualité politique. Et vote systématiquement aux élections nationales françaises".
On peut noter
l’importance à leurs yeux de transmettre « leur culture » à leurs
enfants. Mais quelle culture ? La culture française ? Comment peut-on
transmettre une culture française, qui plus est avec passion, lorsque notre
propre pays d’origine ne nous manque pas ? Si l’on pousse un peu plus loin peut-on
aimer un pays, et en voie de conséquence sa culture, si celui-ci ne nous manque
pas ? Une autre importance à leurs dires serait celle de la citoyenneté et
de la nationalité française – on notera au passage le pléonasme – qui ne se
traduit effectivement que dans l’octroi d’un statut, et non d’une culture.
L’idéologie anti-française des années 70 a fait naître ce paradoxe d’une
culture française apparemment chérie alors qu’elle n’est en réalité que
méprisée dans ses origines ou détournée de son sens. Comment peut-t-on arguer
que notre pays n’occupe guère nos pensées alors que celui-ci, par un service public
développé, nous a éduqué, maintenu en bonne santé, et permis d’accomplir de
grandes études ? Comment glorifier la citoyenneté française quand celle-ci
n’est utilisée, par une grande majorité des expatriés, que pour voter
« aux élections nationales françaises » et non plus pour s’honorer de notre histoire de France ;
histoire de France qui au passage constitue ce long processus de création de
notre citoyenneté.
On pourrait dresser une
liste interminable de ses articles faisant la promotion de ce mode de vie qui ne
touche pourtant que peu de français (2 millions soit 3% de la population). Tous
les journaux allant du Monde au Figaro, tout en passant par le Nouvel Obs, sont
concernés par cette publicité idéologique de l’expatriation. Le monde politique
s’y met aussi. Nous avons ainsi eu de 2010 à 2017 un ministère chargé des
français vivant à l’étranger en charge d’organiser l’expatriation et le retour
au bercail des expatriés français. La puissance publique n’est pas en reste
pour conforter l’expatriation d’autant que notre modèle économique a un intérêt
à promouvoir les conditions de ce style de vie. En effet le capitalisme,
aujourd’hui mondialisé, ne peut prospérer que par la libération des frontières
et la libre circulation des marchandises, des capitaux, et surtout des hommes.
L’Etat, s’il n’est pas le dernier pour faciliter celles-ci n’a fait que suivre
le mouvement idéologique post soixante-huitard qui a dressé « les droits
de l’homme », y compris celui de se déplacer, au panthéon de leur pensée.
La législation nationale, communautaire, et internationale apportera d'ailleurs sa pierre à cet édifice idéologique. Les années 80 verront l’adoption de l’Acte unique instaurant un
espace européen sans frontières intérieures et au sein desquelles sera promu le
grand marché intérieur. S’en suivront les années quatre-vingt-dix et le fameux
traité de Maastricht avec sa citoyenneté européenne signifiant la liberté
d’établissement, de séjour, et de circulation dans tous les pays de l’UE. Les
compagnies aéroportuaires se réjouiront de tout cela par la multiplication des
avions longs courriers et une concurrence féroce qu’elles se livreront jusqu’au
sang par un matraquage de publicité et de promotion tarifaire. Le dilemme est
ainsi affligeant : comment les jeunes générations d’aujourd’hui et à venir
pourraient-elles s’émanciper de cette propagande appuyée aussi bien par les
intellectuels, les médias, l’Etat français, et surtout les institutions
internationales ? Cette combinaison d’acteurs idéologique, médiatique, et
politique, a donné progressivement
naissance à l’individu hors sol que nous connaissons aujourd’hui, sans racine,
souvent égoïste, promouvant une culture française conforme uniquement à ses utopies
universalistes et qui ne s’arrête qu’à son passeport.
Le paradoxe qu’il engendre :
Une incroyable contradiction se
trouve dans le discours de ces expatriés ou de ces futurs expatriés qui s’en
prennent à leur propre pays pour justifier leur mode de vie nomadiste.
Dénonçant l’inertie française, le marché de l’emploi, la culture de vie
française, passons en et des meilleurs, ils ne se rendent pas compte que c’est
la globalisation culturelle, économique, et politique qui est à l’origine de
leur désarroi. S’en prenant au marché de l’emploi, à leur trop faible rémunération, à leur mode de vie
en manque de repère, ils n’arrivent pas à percevoir que ce n’est pas l’Etat
français qui organise tout cela mais bel et bien cette mondialisation, en
grande partie anglo-saxone, utilisant tous les moyens pour mettre en œuvre la
libre circulation des travailleurs et celle des capitaux au travers du droit et de l’immigration.
En promouvant, par leur esprit et leur idéologie nomade, le voyage et la liberté de vivre où
bon leur semble, les expatriés, inconsciemment, participent au propre système
qui les aliènent depuis maintenant plus de trente ans. Ils critiquent en effet
un système, profitant à l’extrême de la notion de la mobilité, tout en profitant
eux-mêmes de celle-ci. A être plus direct ils constituent ce que certains
essayistes appellent « les idiots utiles du capitalisme mondialisé »
et répondent par leur comportement à la célèbre diatribe de Bossuet :
« Dieu rit des hommes qui se plaignent des effets dont ils chérissent les
causes ». Ils ne sont pourtant pas les seuls. Combien d’ouvriers l’auteur
de ce blog a-t-il entendu en train de
déplorer le manque de compétitivité de leur entreprise, glorifiant par là même
un modèle économique prédateur et sournois, ne marchant que par la compétition
des individus, et qui pourtant les chassent lentement mais sûrement du tissu
économique et industriel français.
Nous n’entendions pas ici blâmer
n’importe quel expatrié français. Comme il a été dit leurs raisons sont souvent
nobles et légitimes. Une partie des expatriés ne se reconnaîtront pas dans
notre discours et nous en sommes bien heureux
et bien conscients. Mais nous avons surtout voulu dénoncer un phénomène qui
reste minoritaire et qui tend à être présenté comme la panacée de nos soucis
économiques ou existentiels. Ce phénomène de l’expatriation a accouché de certaines énergumènes
à l’instar de Félix Marquardt, passant son temps à cracher sur son pays, et
estimant que le salut de n’importe quel jeune français se trouve nécessairement
à l’étranger. Loin de nous l’idée que ce
type d’original représente la pensée de tous les expatriés de France.
Non, ce que nous souhaitions
mettre en lumière c’est ce sentiment de l’anti-France, maintes fois exprimés
dans les journaux, par des jeunes travailleurs, des hommes et des femmes
politiques, qui se sont fait les
champions, toutes catégories confondues, pour présenter la France comme une
terre de désolation économique qui ne pourra plus jamais refleurir. Le problème
n’est pas français il est civilisationnel. Comment réguler le moindre mauvais effet du capitalisme financiarisé et
mondialisé sur le marché du travail lorsque vous ne pouvez mettre en place une
quelconque politique industrielle protectionniste – interdite par la libre
concurrence et non faussée - ou économique – prohibée par la monnaie unique - à
l’échelle nationale ? Comment promouvoir une culture française et former
des citoyens fiers de leur histoire à
l’heure, comme le dit si bien Jean Pierre Chevènement, d’une globalisation
devenue folle - et en grande partie dominée par les anglo-saxons il y a de cela
maintenant 200 ans - et d’un différencialisme exacerbé ? Et surtout comment
convaincre nos jeunes diplômés de rester en France quand ceux-ci participent
eux-mêmes, sans s’en rendre compte, au système qui les aliène ? Le
capitalisme mondialisé a fondé sa propre humanité… Un grand défi sera de refonder une humanité
décolonisé de ce système subversif. Mais ceci, bien évidemment, ne se résoudra pas
à l’échelle de la France et certainement pas dans la quiétude.
Bon commentaire qui n'engage que celui qui l'a écrit, mais qui donne un éclaircissement averti et des arguments souvent convaincants sur le phénomène de l'expatriation...
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