mercredi 30 août 2017

L'euro : entre récession et économisme de comptoir.


L'économie est devenue un sujet prépondérant dans le débat politique contemporain. De Valéry  Giscard d'Estaing, avec sa prestance d'un surintendant moderne des finances, à Emmanuel Macron et  son arrogance énarchique de caste, celle-ci est devenue l'instrument technique et rhétorique par excellence pour écraser l'adversaire lors d'un débat politique, le récent débat présidentiel entre M. Macron et Mme Lepen exemplifiant parfaitement ce fait. 

Non seulement écrasante dans la controverse politique, l'économie, accompagnée de sa pratique politique, est sujette à une sacralisation idéologique particulièrement manifeste dans les milieux médiatiques et politiques. Les néolibéraux - dont nos gouvernants d' "En Marche"  constituent la quintessence - considèrent aujourd'hui l'économie comme un objet technique ou une science purement arithmétique auquel on ne saurait ajouter une quelconque nuance idéologique ou politique. Le problème est que l'économie est avant tout une science sociale et donc perfectible par nature. Jacques Généreux, économiste universitaire, éclaircit cette particularité : 

 " Si l'économiste, observe-t-il, peut adopter une démarche scientifique, ses résultats ne sont pas de même nature que ceux des sciences de la nature. Ces dernières énoncent des lois universelles (la pesanteur, la lévitation, etc.) qu'il serait absurde de contester. Ces lois permettent de prévoir avec exactitude certains phénomènes (le retour d'une comète par exemple). Or, à de rares exceptions près, la "science" économique est incapable d'énoncer des lois de ce type. Les lois de l'économie sont pour l'essentiel des règles de fonctionnement de la société déterminées par des choix humains (eux-mêmes conditionnés par l’histoire, la culture, et l'environnement [tout autant de gros mots pour les néolibéraux] des décideurs), et non par une nécessité mécanique et matérielle. Il s'agit ainsi de lois sociales, et donc locales, datées et évolutives."

L'économie n'est donc pas une science au sens mathématiques du terme. Trop de facteurs anthropologiques, civilisationnels, temporels, politiques, etc., l'affectent et l'influent pour en faire une telle science.

 "De plus, ajoute l'universitaire, l'économie ne peut donner aucune réponse simple et univoque à la plupart des questions de politique économique (...) l'économie est une science de l'efficacité, c'est-à-dire de l’adéquation des moyens aux fins.(...)l'économiste bute toujours sur une question de justice :comment répartir les coûts et les avantages entre des individus supposés égaux en droit ? Comme personne n'a de réponse "scientifique" à cette question, la réponse relève d'un choix politique. C'est en ce sens que l'économie est par nature politique."

Choisir d'augmenter le taux d'intérêt, de baisser les dépenses publiques, d'accroître les prélèvements obligatoires, etc., constituent donc des décisions politiques et non des décisions techniques ou scientifiques comme l'estiment les néolibéraux endoctrinés par un scientisme mêlé à une idéologie de marché. Ce scientisme de l'économie s'illustre particulièrement au sujet de la monnaie de l'euro et de sa zone monétaire. Face à leurs adversaires, les thuriféraires de l'euro  opposent davantage de diatribes que d'arguments de fonds. Les "eurosceptiques" (comme les médias adorent les surnommer) ne seraient, selon eux, que des idéologues ou des irresponsables incapables de comprendre les enjeux économiques et politiques d'une zone monétaire commune. Pourtant, cocassement, tous ces adjectifs peuvent parfaitement qualifier aujourd'hui les idéologues de la monnaie unique européenne. D'un Bruno Lemaire, évoquant succinctement la sortie de l'Euro comme  rien de moins qu'une ruine de la France, à un Emmanuel Macron , péremptoire, prophétisant que les cultivateurs de "pommes dans la vallée de la Durance ou l'épargnant (...) perdront du jour au lendemain 20% de leur épargne" en cas du retour au franc, on constate chaque jour cet aveuglement idéologique au sujet de la monnaie européenne. On rétorquera aussi à notre pimpant Président que sa chère Banque centrale européenne, dans un rare élan de lucidité, a dévalué de 20% l'euro en à peine un an et demie et que personne n'a pipé un seul mot sur cette décision. 

Si les concepteurs de l'euro et de sa zone monétaire partaient d'un bon sentiment, on ne peut que tragiquement constater les médiocres résultats de ses effets au regard des nombreuses critiques provenant d'économistes universitaires comme J. Stiglitz, J. Généreux, ou encore J.Sapir. Ceux-ci, parmi tant d'autres, démontrent que la zone euro n'est synonyme depuis son lancement que de stagnation ou de récession, qu'elle nous a privé de nos instruments souverains de régulation économique, qu'elle illustre l'intransigeance, si ce n'est l'arrogance d'une l'Allemagne donneuse de leçons, et qu'elle démontre que la solidarité européenne, si chère aux européistes, n'est qu'une lubie.

Valéry Giscard d'Estaing et Emmanuel Macron : la vieille suffisance rencontre la jeune arrogance


La zone euro : une récession depuis bientôt deux décennies 

La zone euro constitue depuis sa création en 1999 la zone monétaire commune la moins productive et efficiente de son époque. Les dirigeants de la zone euro s'évertuent avec une certaine fougue à nous convaincre que les bons résultats économiques de l'euro sont au rendez-vous alors que la réalité est beaucoup moins rose que leur constat, davantage alimenté par leur mauvaise foi idéologique que par la sincérité. Une infime baisse du chômage ou hausse de la croissance sont présentées comme des éléments d'une reprise prophétisée depuis bientôt vingt ans. Il ne serait pas étonnant à ce sujet de voir Emmanuel Macron se pavaner avec son 1.1% de croissance qui ne représente pourtant, aux yeux d'un honnête économiste, qu'une stagnation.

Joseph Stiglitz, économiste américain, dans son ouvrage "l'euro comment la monnaie unique menace l'avenir de l'Europe",  nous dresse le tableau effarant de ce marasme économique. Il évoque la stagnation du PIB réel de la zone euro qui "stagne à présent depuis près de 10 ans" et qui, en 2015, n'a été supérieur que de 0.6% à son niveau de 2007. (...) Si, en moyenne, les pays de la zone euro ont eu de mauvais résultats, certains ont connu une croissance modeste tandis que d'autres, comme la Grèce, ont fait une chute catastrophique. L'Allemagne, qui passe pour la championne européenne, a eu une croissance de 6.8% sur la période de huit ans écoulée depuis 2007, mais cela fait un taux annuel moyen (...) de 0.8% seulement." Nous sommes loin de l'état des lieux dithyrambiques posé par nos propres hommes politiques au sujet de l'Etat d'Angela Merkel et dont les modes de gouvernance et de société sont tant rêvés par ces mêmes pour la France depuis des lustres. L'économiste va plus loin en comparant les contractions du PIB réel de certains pays de la zone euro à celles connues pendant la Grande Dépression de 1929. Certaines contractions sont encore plus importantes sous la crise de l'euro notamment avec la Grèce et l'Irlande qui verront leur PIB se contracter respectivement de -24% et -8% entre 2007 et 2015 et "seulement" de -8%  et -5% à la suite du Krack boursier de 1929. La comparaison géographique avec les Etats Unis d'Amérique est tout aussi pertinente puisque, de 2007 à 2015, la croissance du PIB réel par habitant a été de 3.4% au pays de l'Oncle Sam alors qu'elle a été de -1.5% (oui, un chiffe négatif) dans l'Eurozone. Par ailleurs ces chiffres ne nous donnent qu'un constat quantitatif des résultats de l'euro. Aussi mauvais soient-t-ils, ajoute Stiglitz, ces chiffres ne traduisent pas pleinement l'ampleur de la baisse des niveaux de vie : la sécurité économique est une composante importante du bien-être, et les pays en crise ont vécu une forte montée de l'insécurité, que reflètent les hausses ahurissantes du chômage et les coupes budgétaires importantes dans les systèmes de protection sociale.

Et ce n'est pas tout. Il est un lieu de commun de croire que le marasme économique connu aujourd'hui par de nombreux pays de la zone euro provient uniquement de leur prodigalité pour les dépenses budgétaires et n'a strictement aucun rapport avec la politique monétaire européenne. L'Allemagne s'empresse toujours d'avancer ce genre d'argument pour justifier sa politique d'austérité si bénéfique pour son seul intérêt. Pourtant, bon nombre de pays comme l'Espagne, l'Irlande, ou encore la Finlande présentaient des comptes publics en état d'excédent budgétaire avant la crise de 2008. Prenant exemple de l'Etat finlandais, Stiglitz évoquent trois raisons, autres que budgétaire, à l'origine de la crise économique finlandaise : la claque commercial prise par Nokia qui a perdu d'énormes parts de marché dans le domaine technologique face à la redoutable concurrence de Apple; une industrie du bois frappée par une baisse de la demande; un partenaire commercial majeur - la Russie - connaissant la récession (à cause de la baisse du prix du pétrole) et frappé par des sanctions commerciales de l'Union Européenne. Et ne parlons pas de l'Etat Irlandais qui, malgré des comptes publics excédentaires, sera appauvri, non pas par une politique publique dépensière, mais par l'ordre officieux qui lui sera enjoint par l'UE de renflouer ses banques après 2008 faisant passer ainsi le rapport dette/PIB de 25% à 95% ! L'Allemagne peut par ailleurs s'estimer chanceuse de produire des biens très demandés par la Chine, véritable économie fulgurante, alors que ses concurrents commerciaux européens doivent produire des biens largement en concurrence avec les produits chinois. Sa prospérité économique a donc davantage à voir avec un politique agressive d'exportation commercial - qu'elle peut mener à bien grâce à une dévaluation interne (nous y reviendrons en dernière partie) - qu'avec des compte publics entretenus avec sévérité.

Mais pourquoi les pays de la zone monétaire ne peuvent ils plus retrouver en l'état actuel des choses leur prospérité économique d'antan ? Tout simplement parce que l'euro, par sa rigidité, a supprimé les instruments nationaux permettant d'atteindre un tel objectif.




La rigidité de l’euro : la maîtrise de l’inflation à tout prix

Lors du débat d'entre deux tours, Emmanuel Macron a repris un argument classique pour contrer le programme économique de Marine Lepen : le retour au franc instaurerait une dévaluation monétaire (comme par magie) de 20% entraînant en conséquence une baisse de cette même valeur pour le patrimoine de la plupart des français. Nous avons déjà précisé en introduction à quel point cet argument était en contradiction avec la politique monétaire de la BCE qui a consisté à dévaluer depuis deux ans l'euro de 20% par rapport aux dollars. Mais cette insistance de Macron sur la dévaluation possible de notre monnaie nationale en cas de sortie de l'euro souligne d'une part l'idéologie ordolibérale qui guide sa politique économique, mais aussi le refus de retrouver la maîtrise des instruments nationaux économiques et monétaires pourtant essentiels pour garantir à minima la prospérité de notre économie française.

Beaucoup de pays de la zone euro sont aujourd'hui en récession, si ce n'est, à l'instar de la Grèce, en dépression. Dans cette phase de déclinisme économique, un pays dispose normalement de trois issues : la baisse des taux d'intérêts pour stimuler la consommation et l'investissement ; la baisse des taux de change pour stimuler les exportations ; le budget publique pour augmenter les dépenses d'Etat ou diminuer les prélèvements obligatoires. Or, la zone monétaire européenne a supprimer les deux premières solutions en imposant un taux de change unique pour l'ensemble des pays de la zone monétaire européenne et en faisant encadrer un taux d'intérêt unique et modulable uniquement par la Banque centrale européenne qui ne se soucie étroitement que d'une chose, l'inflation. Quant aux dépenses publiques, elles diminuent progressivement par les critères de convergence contenus dans le Traité sur la Stabilité, la Coordinaion et la Gouvernance (TSCG).

L'euro présente donc un vice structurel : celui de ne pouvoir s'adapter à l'ensemble des dix neufs économies divergentes de la zone monétaire européenne. Pourtant un pays peut connaître l'inflation et un autre la récession ; un Etat pourrait connaitre un excédent dans sa balance commercial et un autre un déficit. L'un aurait alors besoin d'un taux d'intérêt et d'un taux de change à la hausse, pour respectivement faire baisser l'inflation et les exportations, alors que l'autre aurait nécessairement envie d'une baisse de ces deux taux pour stimuler son économie par l'investissement et augmenter ses exportations. Pourtant, rien de tout ceci n'est possible avec l'euro puisque l'ensemble des pays de sa zone monétaire ont adopté une monnaie unique en cédant le contrôle de leurs taux d'intérêts et en adoptant un taux de change unique. Comment les instigateurs de la zone monétaire européenne ont pu croire dans le bon fonctionnement de l'euro avec une telle rigidité institutionnelle ?

 Quelle idéologie a donc animé les concepteurs de la monnaie unique européenne pour croire que celle-ci fonctionnerait à merveille et nous apporterait, selon leurs propres dires, une croissance prospère et un chômage rachitique. Cette conviction politico-monétaire repose en fait sur la théorie de la confiance élaborée par Herbert Hoover, trente et unième président des Etats Unis de 1929 à 1933. Sa théorie s'avérait simple : la réduction des déficits publics rétablirait la confiance des marchés (confiance dans la capacité de l'Etat à recouvrer leurs créances en cas de crise), ce qui augmenterait l'investissement pendant que ceux-ci auraient la main libre sur l'économie pour rétablir le plein emploi. Mais Hoover n'a pas réussi à rétablir cette soi-disante confiance. Il a au contraire transformé un krack boursier en Grande Dépression. Si nous faisons une transposition temporelle, c'est aujourd'hui cette même théorie que la troïka européenne (la commission européenne, la BCE, et le FMI) s'obstine à vouloir appliquer à la zone euro. A longueur de journée, d'ondes, et d'articles nous entendons nos dirigeants, y compris français, nous rabâcher que la maîtrise de la dépense publique et la baisse de coûts du facteur travail sont une priorité absolue pour voir une reprise de la croissance. Les adeptes de ce substrat idéologique invoquent quelques exemples qui auraient apparemment réussi à retrouver une économie florissante par ce biais. Mais il faut souligner que ces pays dont il est question, au moment même de réduire leur déficit, ont connu des voisins en pleine expansion économique vers lesquels ils ont pu développer une forte activité commerciale exportatrice. Il en a été le cas, au début des années 1990, du Canada qui a su profiter de la bonne santé économique des Etats Unis pour combler davantage sa récession par une forte politique d'exportation que par la réduction de ses dépenses publiques. Aujourd'hui, même le FMI reconnait que l'austérité étouffe l'économie et s'inquiète de l'effet de ses propres politiques sur la capacité de la Grèce à pouvoir garantir ses dettes publiques malgré un respect sourcilleux de la politique de convergence budgétaire imposée par l'Allemagne de Merkel.

Le rêve inversé de Mitterrand : l’Allemagne maîtresse de l’euro

"La France est notre patrie, l'Europe est notre avenir" : voilà ce qui peut résumer le rêve de François Mitterrand, notre dernier monarque présidentiel à propos de l'Union Européenne. Son rôle a été d'une primordiale importance dans l'instauration de la monnaie unique qui s'est traduite, comme nous l'explique si bien Jean Pierre Chevènement dans "Un Défi de civilisation", par une adaptation de notre économie nationale à "l'ordolibéralisme allemand : priorité à la seule lutte contre l'inflation dans les statuts de la Banque centrale européenne (BCE), indépendance de celle-ci vis à vis du "politique", déficit budgétaire contenu, etc.". L'influence des ministres de Mitterrand, notamment par les deux francs européistes, Delors et Mauroy, ne sont pas à sous-estimer dans le choix de celui-ci pour la monnaie unique. "Dans le contexte de l'époque, précise Chevènement, la conversion européenne - et libérale - était plus tentante et surtout plus facile pour la gauche fraîchement arrivée au pouvoir.(...) les dirigeants du Parti socialiste restaient, dans leur majorité, des anciens de la SFIO, artisans -autour de Guy Mollet - de l'Europe communautaire." De plus, on pourrait ajouter qu'elle permettait à François Mitterrand de faire oublier le désastreux bilan économique résultant du virage libéral de 1983, lui même inspiré par ses mêmes conseillers sus-cités.

Beaucoup pensent que Mitterrand avait aussi une vision pragmatique, et non seulement idéologique, derrière son projet européen. En effet la réunification des deux Allemagnes donnerait au nouvel Etat allemand une prédominance géopolitique et économique qui prendrait ses appuis sur l'élargissement du marché unique aux pays de l'Europe de l'Est qui s'était opérée dans les années quatre vingts. Le choix de la monnaie unique par Mitterrand aurait traduit chez lui la volonté de faire converger les deux puissantes économies, allemande et française, de l'époque et éviter ainsi que la première n'écrase littéralement la seconde. Mais Chevènement remet les pendules à l'heure en rappelant que "le choix de la monnaie unique a été fait à Madrid en juin 1989, à un moment donc où on ne voyait encore rien venir" du côté allemand. " Ce choix de la monnaie unique, poursuit le Ministre, doit donc tout à l'idéologie "européiste" d'une Union européenne se substituant aux nations, et rien au contexte géopolitique par lequel on le justifie aujourd'hui : la réunification allemande."

 Aujourd'hui le rêve mitterrandien d'une Europe solidaire s'est inversé. L'Allemagne a su profiter de la rigidité de la zone monétaire européenne en pratiquant, dans les années 1990, une politique agressive de dévaluation interne se traduisant par une concurrence déloyale. Prenant les devants sur les impossibilités qui allaient lui être imposées de ne plus utiliser le taux de change, le taux d'intérêt, ou sa politique budgétaire pour assurer sa bonne santé économique, l'Etat allemand a baissé au maximum son coût du travail par une baisse des salaires, une baisse des prestations sociales et un dérèglement fiscal; tout ceci accepté par un syndicalisme allemand beaucoup plus propice à accepter tous ses sacrifices que les syndicats français. Tout ceci ne fait que refléter en pratique la théorie de la confiance de Herbert Hoover et qui ne profite qu'à un seul Etat : l'Allemagne. La solidarité européenne, promeut à l'époque par Mitterrand et la majeure partie de la classe politique, gauche et droite confondue, n'est aujourd'hui qu'une chimère pour justifier le joug allemand sur l'ensemble de l'Union européenne.

Mitterrand et Chevènement : deux amis politiques, deux adversaires idéologiques.

Une monnaie qui fait fi du bien être des peuples : le cas de la Grèce 

Beaucoup d'hommes politiques européens, qu'ils soient français ou autres, s'imaginent que la Grèce ne s'est retrouvée dans une situation de crise qu'en raison de sa politique budgétaire désastreuse et de ses comptes publics déficitaires. C'est facilement écarter le fait que cet Etat se trouvait déjà dans cette situation au moment de l'acception de son entrée dans la zone monétaire européenne en 2000. C'est aussi esquiver la fine analyse de Stiglitz soutenant avec pertinence que la situation dans laquelle se trouve la Grèce aujourd'hui résulte davantage d'une crise privée que publique. Aussi, bon nombre d'analystes estiment-ils que l'adoption de la monnaie unique par la Grèce a ouvert un boulevard au secteur bancaire et financier pour vendre tout et n'importe quoi à un Etat grecque d'autant plus propice à acheter qu'ils bénéficiaient avec l'euro d'un taux d'emprunt inadéquat à sa situation industrielle et économique. "Avant la mise en place de la monnaie unique, précise l'historien Olivier Dollorme, en 1999-2001, tout semblait encore sourire à l'Europe. Mais la nouvelle monnaie (...) a semé les germes de la discorde au sein de l'Union.(...) Auparavant, quand un pays laxiste achetait à l'étranger plus qu'il ne vendait, il était promptement ramené à l'équilibre par la dévaluation de sa monnaie [pour favoriser l'exportation et rééquilibrer ainsi la balance des comptes courants]. En supprimant cette force de rappel, la monnaie unique a autorisé toutes les dérives et permis par exemple aux industriels et banquiers allemands et français d'abuser de la faiblesse des dirigeants grecs pour leur vendre à crédit toutes sortes d'inutilités (chars et avions de combat, pont de l'isthme de Corinthe, autoroute du Péloponnèse, aéroport d'Athènes, Jeux Olympiques de 2004). En 2010, menacés de perdre ces placements irresponsables, les banquiers français et allemands (Commerzbank, BNP...) en ont repassé le fardeau aux Etats avec la complicité des oligarques grecs."

C'est donc l'irresponsabilité des marchés financiers et bancaires conjuguée à l'euphorie des dirigeants grecs - encouragés par les débuts prometteurs de l'euro et de son taux de change unique entraînant une spéculation mortifère vers les pays les moins développés comme la Grèce - qui a donné naissance à cette situation grecque désastreuse. Stiglitz a évoqué une réunion privée au cours de laquelle il s'était entretenu avec un "Premier ministre d'un pays d'Europe du Nord" dont il veut conserver l'anonymat. Durant l'entretien, l'économiste a évoqué les familles grecques et espagnoles, "hier encore classe moyenne, cherchant ça et là de quoi survivre, incapables de chauffer leur maison en hiver, et même mangeant ce qu'elles trouvaient dans les poubelles". Cinglant, son interlocuteur lui répondit qu' "ils auraient du réformer leur économie plus tôt; ils n'auraient pas du être si dépensiers." Ces propos illustrent on ne peut mieux la défiance des classes dirigeantes européennes à l'égard du peuple grec, pensant que celui-ci n'est constitué que de fainéants fraudeurs et peu scrupuleux à rembourser leurs prêts. Il n'en est rien.

 La troïka européenne, aveuglée par sa théorie de la confiance, imposera aux citoyens grecs de réparer les conséquences des décisions prises à l'époque d'un commun accord entre les dirigeants oligarchiques grecs et les milieux financiers.  Les solutions directement nées du programme d'austérité imposés à la Grèce en échange d'une aide de liquidité (une aide dont le coût sera disproportionné en rapport avec les avantages acquis) provoqueront une récession et en 2015 une dépression. Avec celle-ci, précise l'économiste américain, " des centaines de milliers de personnes ont perdu leur travail, des centaines de milliers d'autres ont dû accepter des baisses de salaire de 40% ou davantage; la plupart  de ceux qui ne paient pas ne peuvent pas payer. L'Europe a fait un pari : son intransigeance allait rapporter au banques une fortune et le montant qu'elle aurait elle-même à avancer pour les recapitaliser serait réduit d'autant. Mais tout indique qu'en réalité des milliers de Grecs pauvres vont se retrouver sans abri et les banques, encombrées de maisons invendables. (...) Les technocrates de la zone euro n'étaient pas attentifs aux statistiques qui captaient ces souffrances. Et ils ne voyaient pas non plus que, sous la froideur de ces chiffres, il y avait des personnes de chair et d'os, dont on était en train de ruiner la vie. C'est comme l'avion qui bombarde à 15000 mètres d'altitude : le succès se mesure aux objectifs atteints et non aux vies détruites."



La Grèce en dépression ne peut plus aujourd'hui stimuler son économie par une baisse des taux d'intérêt ou de son taux de change, ni par une politique de dépense budgétaire adéquate. Une politique de protection industrielle (freinant, par exemple, la mobilité les capitaux bancaires vers des pays plus capitalisés) et favorisant la demande (par l'augmentation du pouvoir d'achat au travers du salaire et des prestations sociales) auraient dynamisé un investissement, une consommation, et des recettes fiscales qui en auraient découlé. Il ne s'agit pas ici d'exalter une dépense budgétaire à tout va, mais simplement de faire comprendre que les politiques protectionnistes, par leur application temporaire et opportune, permettent de sauver un pays d'une situation désastreuse. Pourtant, aujourd'hui, les débatteurs politiques et médiatiques s'adonnent avec joie à caricaturer la moindre once de protectionnisme comme un retour à l'union soviétique et à la politique des Kolkhozes.

 La troïka européenne se gargarise aujourd'hui d'une Grèce qui aurait retrouvé l'équilibre de ses comptes publics. Mais le prix que vient de nous décrire Stiglitz a été fort. Pourtant celui-ci nous démontre point par point comment, avec les instruments économiques nationaux (taux de change, taux d'intérêt, et politique budgétaire), la Grèce aurait pu s'en sortir si elle était sortie de la zone euro à partir de la crise de 2015. L'économiste va jusqu'à proposer des solutions sans la sortie de l'euro mais qui s'éloignerait de l'eurolibéralisme radical pratiquée aujourd'hui : élargissement du mandat de la BCE à la lutte contre le chômage, création d'un fonds de garantie bancaire commun, réglementation fiscale commune, etc. Plus largement, Stiglitz propose deux solutions : plus d'Europe, des solutions sans rompre avec l'euro, ou moins d'Europe, avec la sortie de l'euro et la réutilisation des instruments de régulation nationaux. Ces deux solutions l'Allemagne n'en veut pas. La seconde parce qu'elle marquerait certainement le début de la fin de l'eurozone et en conséquence celle de la domination allemande, la première parce qu'elle va en contradiction avec les politiques d'austérité imposés aujourd'hui par Madame Merkel. Plaider l'utilisation d'instruments économiques nationaux n'a rien d'irresponsable, bon nombres de pays, fort heureusement pour eux, l'utilisent encore. Mais on comprend maintenant pourquoi l'Allemagne s'opposera - bientôt en vain - à ce que des Etats de la zone euro retrouvent entre leurs mains ces instruments : si tel était le cas elle ne pourrait plus passer son temps à donner des leçons d'austérité budgétaire à tout le monde.


mercredi 9 août 2017

Les expatriés

« Les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magnifiques des villes inconnues... ». Joseph Kessel.

Voyager est un bienfait,  on ne saurait le contester. L’homme est nomade par sa nature. Excitation ou déception, joie ou tristesse, bonheur ou malheur, tous ces sentiments le voyageur les côtoie sur son périple aussi long ou court soit-il. Tout ceci participe à une stimulation de l’esprit du baroudeur qui, quoi qu’il en soit, tirera toujours de son odyssée une expérience productive. La connaissance d’une autre culture, d’une autre flore, d’une autre société, d’une différente organisation familiale, ne peut qu’aiguiser notre point de vue sur notre propre vie et celle d’autrui.   

A l’ère du loisir, voyager est presque devenu une mode. Les agences de voyage, les pages Facebook, les sites pour «travelers», sont là pour en témoigner. Les destinations s’enchaînent comme des collections vestimentaires, on passe de l’Australie (lieu de prédilection il y a de cela quelques années) au Canada  (aujourd’hui la terre promise pour bon nombre de jeunes français) comme on passerait  d’une chemise unie à une chemise rayée chez Jules. Et les moyens pour atteindre ses lieux se sont développés. Se déplacer de Paris au Québec est devenu aujourd’hui aussi banal et facile que de passer de la haute à la basse normandie. Les billets sont à des prix toujours de plus en plus attractifs (on trouve des vols à 50 euros l’aller retour entre la France et l’Espagne !), la publicité appelant au voyage omniprésente (d’autres diraient agressive), sans parler des  logements de plus en plus ubérisés au grand détriment des moyens d’hébergement plus traditionnels comme l’auberge de jeunesse, l’hôtel, ou encore le gîte.

Pourtant cette facilité de se déplacer ne répond pas nécessairement à un attrait de plus en plus important de notre civilisation occidentale au voyage. Elle correspond en grande partie à notre mode de société, politique, et économique, et non seulement à notre goût de l’aventure en tant que petit bourgeois Bohême. Plus que voyager, beaucoup de nos contemporains souhaitent vivre tout simplement hors de leur pays d’origine. Les motivations sont souvent d’ailleurs toutes aussi différentes que louables : un meilleur salaire, une autre vie, une famille vers qui l’on souhaite se rapprocher, un esprit de nomade… Mais s’agit-il encore d’un voyage ? Non. Et pourtant la facilité  de s’installer à l’extérieur de son pays profite tout autant de cette liberté de déplacement tant chérie par les voyageurs. Or, la notion de déplacement et tout ce qui l'entoure est très chère à notre civilisation libérale.

On ne s’étonne plus aujourd’hui de voir  une partie de la génération des trentenaires, nourrie à l’idéologie libérale depuis sa naissance, abandonner famille et patrie pour travailler ou vivre à l’autre bout de la planète. Sa pensée en est d’ailleurs affectée. Voyager est devenu davantage un mode de vie qu’un simple loisir. La jeunesse voit la frontière comme un obstacle et non une protection. Pire, l’enracinement n’est qu’une perte de temps, une entrave à la carrière professionnelle, un synonyme d'enchaînement insupportable aux traditions locales nous transformant petit à petit en «radis» (c.f Jacques Attali). La mobilité serait ainsi faite pour les « winners », alors que l’immobilisme ne serait destiné qu’aux  « loosers ». Dans une certaine extrémité il n’est pas rare que certains aillent jusqu’à critiquer leur propre  pays, une patrie gâcheuse de talents, qui ne saurait tirer profit de toute sa potentialité, comme nous le rabâche à longueur de journée la caste médiatique. Croyant que son malheur  ne saurait trouver son origine que dans la manière dont est gouvernée la France – ce qui n’est pas totalement faux – cette génération ne se rend pas compte qu’elle entretient, par ce comportement de nomade, le propre modèle de civilisation qui l’exploite et l’avilie. Un modèle qui fait d’ailleurs feu de tout bois pour subordonner ces jeunes à ses propres lubies.   


Pourquoi ce culte de l'expatriation ?



Les années soixante dix ont constitué une importante période catalysatrice sur la mentalité des plus jeunes générations. Beaucoup d’historiens, de sociologues, de journalistes, louent Mai 68 pour avoir commencé ce travail de renouveau culturel alors qu’il parait pourtant simpliste de réduire ce bouleversement des mentalités à une révolte étudiante et ouvrière de quelques jours. Non, cette transformation sociétale trouve ses origines bien avant les évènements de soixante-huit. En effet, le début des années soixante connaitra une foultitude de temps « progressistes ». Pour exemple, l’occident connait peu à peu la pilule contraceptive, par ailleurs  légalisée en France par la célèbre loi Neuwirth, le prêt à porter fait son apparition et casse les codes de la haute couture, les yéyés envahissent la France et la popmusique nos walkmans, et les hippies se démarquent par leur idéologie antimatérialiste et leurs mœurs légères. Toutes les traditions et structures sociales, familiales et politiques sont déjà subrepticement battues en brèche. Mai 68 ne sera qu’un coup de haut parleur de cette époque libérale et les années soixante-dix n’en seront qu’une cristallisation. Celle-ci se réalisera grâce à la génération soixante-huitarde qui, dès la démission du monarque présidentiel en 1969, prendra progressivement les rênes des différents pouvoirs politique, médiatique et culturel français et imposera sa vision du monde et son idéologie à la postérité.

Cette idéologie se caractérisera par le rejet de tout ce qui aura attrait au patriotisme, au local ou à l’autochtone alors que la diversité, l’immigration, l’hédonisme, et le sans frontiérisme seront quant à eux promus en grande pompe.  Les générations des années soixante-dix jusqu’à aujourd’hui seront endoctrinées par  ce corpus idéologique qui ne s’exprimera désormais qu’en termes de droit individuels et de libertés. Plus aucune restriction à ceux-ci ne saurait être admise et on n’oserait a fortiori aborder la moindre entrave à  la liberté de déplacement et d’installation qui constitueront les conditions d’un quasi nouveau mode de vie.

On ne saurait pourtant expliquer entièrement l’attrait pour l’expatriation ressentit nos jeunes français si l’on occulte le contexte économique. En effet différents facteurs sur ce sujet peuvent  expliquer cet engouement de la jeune génération, souvent très diplômée, pour ce phénomène. Il nous faut pour cela dresser un tableau de la force économique française, ce qui s'avère être  un exercice déprimant. Voyons plutôt. Le taux de chômage pour les plus jeunes français en âge de travailler à été multiplié par 3.5 en 40 ans. Plus globalement un chômage structurel sévit depuis des années en France et avoisine aujourd’hui les 11% de la population active. Les emplois précaires sont occupés en partie par des jeunes diplômés et les salaires sont loin de s’aligner à leur niveau d’études. De son côté, le néo-libéralisme, doxa des institutions bruxelloises, a détricoter un tissu industriel français pour le réduire de moitié en 20 ans entraînant par ailleurs un fracture géographique de plus en plus vive entre d’une part un périurbain pauvre en emploi et en service et, d’autre part, des métropoles riche d’une offre de travail tertiaire.

On doit donc cumuler le contexte idéologique et économique pour bien comprendre l’expatriation et sa montée en puissance chez les jeunes diplômés et travailleurs français. En règle générale, ceux-ci croient, partiellement à tort, que l’Etat et la gouvernance de la France seraient la cause exclusive de cette débandade économique qui a progressivement rabaissé notre pays au rang des Etats suiveurs plutôt qu’à celui des Etats décideurs à l’instar de l’Allemagne, superpuissance industrielle et commerciale. C’est faire fi du contexte beaucoup plus global de la mondialisation. Nous y reviendrons en dernière partie.

Comment s’exprime-t-il ?



L’expatriation est un phénomène de plus en plus promu comme étant majoritaire dans notre société alors qu’elle n’est qu’en fait qu’une singularité. Pourtant tous les moyens sont bons pour aujourd’hui faire la part belle aux expatriés et légitimer quoi qu’il en coûte leurs décisions. Les grands journaux ne sont  avares en éloges sur ce sujet comme Le Figaro qui, dans son édition du 09 août 2016, titrait « «  Le choc culturel inversé » »pourquoi les expatriés ont peur de revenir ». On peut y lire au sujet de l’expatrié lambda qu’" Il est salarié d'une entreprise étrangère depuis au moins six ans, bénéficie d'un contrat de travail local, vit en couple. Et s'il tient à transmettre sa culture française à ses enfants, la France, elle, ne lui manque...pas vraiment. Voilà le profil type du Français résidant à l'étranger, tel qu'il a été établie par l'enquête IPSOS". A la question "diriez-vous que la France vous manque ?" 55% des expatriés interrogés "répondent Non". "Moi, je ne me suis jamais demandé le matin si mon pays me manquait !, tempère Hélène Conway-Mouret. Cela montre qu'ils assument leur choix". La quasi totalité (98%), en revanche, trouve important de transmettre leur culture à leurs enfants. Tous soulignent l'importance de la citoyenneté et de la nationalité française. Une grande majorité continue à suivre l'actualité politique. Et vote systématiquement aux élections nationales françaises".

On peut noter l’importance à leurs yeux de transmettre « leur culture » à leurs enfants. Mais quelle culture ? La culture française ? Comment peut-on transmettre une culture française, qui plus est avec passion, lorsque notre propre pays d’origine ne nous manque pas ? Si l’on pousse un peu plus loin peut-on aimer un pays, et en voie de conséquence sa culture, si celui-ci ne nous manque pas ? Une autre importance à leurs dires serait celle de la citoyenneté et de la nationalité française – on notera au passage le pléonasme – qui ne se traduit effectivement que dans l’octroi d’un statut, et non d’une culture. L’idéologie anti-française des années 70 a fait naître ce paradoxe d’une culture française apparemment chérie alors qu’elle n’est en réalité que méprisée dans ses origines ou détournée de son sens. Comment peut-t-on arguer que notre pays n’occupe guère nos pensées  alors que celui-ci, par un service public développé, nous a éduqué, maintenu en bonne santé, et permis d’accomplir de grandes études ? Comment glorifier la citoyenneté française quand celle-ci n’est utilisée, par une grande majorité des expatriés, que pour voter « aux élections nationales françaises » et non plus pour  s’honorer de notre histoire de France ; histoire de France qui au passage constitue ce long processus de création de notre citoyenneté.

On pourrait dresser une liste interminable de ses articles  faisant la promotion de ce mode de vie qui ne touche pourtant que peu de français (2 millions soit 3% de la population). Tous les journaux allant du Monde au Figaro, tout en passant par le Nouvel Obs, sont concernés par cette publicité idéologique de l’expatriation. Le monde politique s’y met aussi. Nous avons ainsi eu de 2010 à 2017 un ministère chargé des français vivant à l’étranger en charge d’organiser l’expatriation et le retour au bercail des expatriés français. La puissance publique n’est pas en reste pour conforter l’expatriation d’autant que notre modèle économique a un intérêt à promouvoir les conditions de ce style de vie. En effet le capitalisme, aujourd’hui mondialisé, ne peut prospérer que par la libération des frontières et la libre circulation des marchandises, des capitaux, et surtout des hommes. L’Etat, s’il n’est pas le dernier pour faciliter celles-ci n’a fait que suivre le mouvement idéologique post soixante-huitard qui a dressé « les droits de l’homme », y compris celui de se déplacer, au panthéon de leur pensée. La législation nationale, communautaire, et internationale apportera d'ailleurs sa pierre à cet édifice idéologique. Les années 80 verront l’adoption de l’Acte unique instaurant un espace européen sans frontières intérieures et au sein desquelles sera promu le grand marché intérieur. S’en suivront les années quatre-vingt-dix et le fameux traité de Maastricht avec sa citoyenneté européenne signifiant la liberté d’établissement, de séjour, et de circulation dans tous les pays de l’UE. Les compagnies aéroportuaires se réjouiront de tout cela par la multiplication des avions longs courriers et une concurrence féroce qu’elles se livreront jusqu’au sang par un matraquage de publicité et de promotion tarifaire. Le dilemme est ainsi affligeant : comment les jeunes générations d’aujourd’hui et à venir pourraient-elles s’émanciper de cette propagande appuyée aussi bien par les intellectuels, les médias, l’Etat français, et surtout les institutions internationales ? Cette combinaison d’acteurs idéologique, médiatique, et politique,  a donné progressivement naissance à l’individu hors sol que nous connaissons aujourd’hui, sans racine, souvent égoïste, promouvant une culture française conforme uniquement à ses utopies universalistes et qui ne s’arrête qu’à son passeport. 

Le paradoxe qu’il engendre :



Une incroyable contradiction se trouve dans le discours de ces expatriés ou de ces futurs expatriés qui s’en prennent à leur propre pays pour justifier leur mode de vie nomadiste. Dénonçant l’inertie française, le marché de l’emploi, la culture de vie française, passons en et des meilleurs, ils ne se rendent pas compte que c’est la globalisation culturelle, économique, et politique qui est à l’origine de leur désarroi. S’en prenant au marché de l’emploi, à leur  trop faible rémunération, à leur mode de vie en manque de repère, ils n’arrivent pas à percevoir que ce n’est pas l’Etat français qui organise tout cela mais bel et bien cette mondialisation, en grande partie anglo-saxone, utilisant tous les moyens pour mettre en œuvre la libre circulation des travailleurs et celle des capitaux au travers du droit et de l’immigration. En promouvant, par leur esprit et leur idéologie  nomade, le voyage et la liberté de vivre où bon leur semble, les expatriés, inconsciemment, participent au propre système qui les aliènent depuis maintenant plus de trente ans. Ils critiquent en effet un système, profitant à l’extrême de la notion de la mobilité, tout en profitant eux-mêmes de celle-ci. A être plus direct ils constituent ce que certains essayistes appellent « les idiots utiles du capitalisme mondialisé » et répondent par leur comportement à la célèbre diatribe de Bossuet : « Dieu rit des hommes qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes ». Ils ne sont pourtant pas les seuls. Combien d’ouvriers l’auteur de ce blog a-t-il entendu  en train de déplorer le manque de compétitivité de leur entreprise, glorifiant par là même un modèle économique prédateur et sournois, ne marchant que par la compétition des individus, et qui pourtant les chassent lentement mais sûrement du tissu économique et industriel français. 

Nous n’entendions pas ici blâmer n’importe quel expatrié français. Comme il a été dit leurs raisons sont souvent nobles et légitimes. Une partie des expatriés ne se reconnaîtront pas dans notre discours et nous en sommes  bien heureux et bien conscients. Mais nous avons surtout voulu dénoncer un phénomène qui reste minoritaire et qui tend à être présenté comme la panacée de nos soucis économiques ou existentiels. Ce phénomène de l’expatriation a accouché de certaines énergumènes à l’instar de Félix Marquardt, passant son temps à cracher sur son pays, et estimant que le salut de n’importe quel jeune français se trouve nécessairement à l’étranger. Loin de nous  l’idée que ce type d’original représente la pensée de tous les expatriés de France.


Non, ce que nous souhaitions mettre en lumière c’est ce sentiment de l’anti-France, maintes fois exprimés dans les journaux, par des jeunes travailleurs, des hommes et des femmes politiques,  qui se sont fait les champions, toutes catégories confondues, pour présenter la France comme une terre de désolation économique qui ne pourra plus jamais refleurir. Le problème n’est pas français il est civilisationnel. Comment réguler le moindre  mauvais effet du capitalisme financiarisé et mondialisé sur le marché du travail lorsque vous ne pouvez mettre en place une quelconque politique industrielle protectionniste – interdite par la libre concurrence et non faussée - ou économique – prohibée par la monnaie unique - à l’échelle nationale ? Comment promouvoir une culture française et former des citoyens fiers de leur histoire  à l’heure, comme le dit si bien Jean Pierre Chevènement, d’une globalisation devenue folle - et en grande partie dominée par les anglo-saxons il y a de cela maintenant 200 ans - et d’un différencialisme exacerbé ? Et surtout comment convaincre nos jeunes diplômés de rester en France quand ceux-ci participent eux-mêmes, sans s’en rendre compte, au système qui les aliène ? Le capitalisme mondialisé a fondé sa propre humanité…  Un grand défi sera de refonder une humanité décolonisé de ce système subversif. Mais ceci, bien évidemment, ne se résoudra pas à l’échelle de la France et certainement pas dans la quiétude.