mardi 7 février 2017

Les médias, Orwell, et les classes populaires.



Ces derniers temps j’ai pu lire une foultitude d’articles fustigeant le nouveau président américain à propos d’une soit-disante corrélation entre les propos  de l’administration Trump, et la « novlang », concept linguistique mis en avant par Georges Orwell dans son livre 1984 pour dénoncer la déformation du sens des mots au travers d’un régime dictatorial. Le célèbre roman de l’auteur américain posait comme cadre narratif une dictature totalitaire (certains confondent encore les deux mots…) inventant et imposant un langage bien précis aux masses dans le but d’empêcher toute contestation politique par des mots qui deviendraient alors inaudibles  aux oreilles des citoyens de l’Océania ( pays fictif du roman).

La phrase à l’origine de ce parallèle douteux ? Elle nous vient de Kellyanne Coneway, conseillère de Donald Trump, qui durant une interview a osé parler de « faits alternatifs » en réponse aux détracteurs de son "employeur" qui s’étaient gargarisés que l’investiture de Donald Trump ait réunit moins de monde que son prédécesseur en 2009. Ces opposants pourraient cependant avoir l’intelligence de reconnaître que l’investiture présidentielle de 2009 présentait un enjeu historique - celui d’un premier homme noir à la tête de la maison blanche - différent que celle de 2017 pour expliquer cette moindre mobilisation.

Mais revenons à nos « faits alternatifs ». En effet Mme Coneway, pour défendre le porte parole à la maison blanche, Sean Spicer – qui a déclaré non sans assurance que l’investiture de Mr Trump avait été la plus grande en termes d’audience -  a argué que les journaux présentaient des « faits alternatifs » à ceux présentés par son collègue. Horreur, les médias et la bienpensance se mobilisent : comment peut-on utiliser ce langage insoupçonné d’usage jusqu’alors ? Le monde médiatique s’emballe et dénonce un parallèle entre d’une part, l’entreprise de Mme Coneway et de Mr Spicer, et d’autre part celle de la dictature imaginée par Orwell : la déformation des mots par rapport aux faits. Pour illustration, Violaine Morin, journaliste au journal Le Monde, écrit dans un article du 26 janvier 2017 : Les « faits alternatifs » défendus par la conseillère de Donald Trump ont rappelé les souvenirs de lecture à de nombreux Américains (…) « Un « désaccord sur les faits » ou l’existence de « faits alternatifs » n’est pas possible, un fait est un fait : soit il s’est produit, soit non. »   Outre que cette assertion en dit long sur l’état d’esprit qui règne dans les milieux journalistiques des médias officiels  (« nous sommes les seuls à détenir la vérité »), la formule ne manque pas d’hypocrisie de la part d’une caste médiatique qui s’atèle depuis maintenant quarante ans à nous présenter des faits à leur sauce. En tout cas, il n’en fallut pas moins de la part de la journaliste et de nombre de ses collègues pour que les contestataires en manque d’attitude rebelle se lancent sur internet et dans les librairies à l’assaut du fameux roman orwellsien. Les grands journaux, après tout, les incitaient grandement : la dictature trumpienne, menaçante à l’égard de (leur) l’ordre libéral, s’installe insidieusement et cela commence par un maniement machiavélique des mots.

Malheureusement c’est ici que le bât blesse pour nos élites. Mais parlons plutôt ici de dominants. Il n’y a après tout, d’après Marx, qu’une seule culture, et même qu’une seule opinion, celle des dominants ;entendons par là les hommes et femmes à la tête d'organismes d'influence qu'ils soient  politiques, médiatiques, ou économiques (on peut être une élite sans pour autant être dominant mais l’inverse est systématique). En effet, ce processus linguistique tant dénoncé ces derniers jours à propos de l’administration Trump (a supposé qu’elle l’ai vraiment utilisé ) est employé depuis maintenant de longues années par ces tartuffes du monde journalistique.  Ils n’ont pas encore digérer l’accès au pouvoir suprême américain d’un candidat qui, aussi controversé soit-il, a répondu dans ses discours mais aussi par ses premiers actes gouvernementaux (décret anti-immigration, lutte contre les abus commerciaux aux consommateurs, décret décourageant l’IVG pour les plus «hard core »…) à un électorat essentiellement exclut de la mondialisation : une base populaire, essentiellement rurale, connaissant chômage, disposant d'une faible retraite, de services défectueux et j’en passe et des meilleures.

En plus de cet événement, nos dominants ont encore au travers de la gorge l’épisode du Brexit. A ces deux actualités démocratiques, qui ne constituent que l'expression d’un peuple souverain qui s’élèvent contre une mondialisation et un libéralisme de plus en plus effrayant - les dominants ont répondu par le mot, « populisme », injure suprême de notre époque, pour qualifier tout mouvement contestataire de l’ordre établi. Tous les partisans du Brexit ou de Donald Trump sont alors qualifiés de « populistes » par les tenants du système médiacratique. Ce terme, exclusivement péjoratif à leurs yeux, dispose pourtant d’un sens originel historique positif. La différence d’usage dans la définition de ce mot démontre la manière  par laquelle les dominants ont transgressé le sens de celui-ci jusqu’à le travestir au bénéfice de leurs intérêts. Utilisé aujourd’hui pour disqualifier n’importe quel de leur adversaire qui en appellerait au peuple et à ses envies, les élites dominantes lui font porter comme sens commun (mais non véridique) le caractère de ce qui pourrait relever de la démagogie, de la déraison, si ce n’est du fascisme (autre fameuse expression utilisée par la gauche moderne pour qualifier n’importe quelle opposition « réactionnaire » ). De cette perspective, il n’est guère étonnant qu’aujourd’hui les partis traditionnels, complètement détachés du peuple, l’emploie à foison pour décrédibiliser leurs adversaires politiques et leurs programmes. La gauche s’est montrée particulièrement friande dans l’usage de cette expression à l’instar d'un Manuel Valls qui qualifiait la victoire de Donald Trump comme celle d’un "triomphe populiste".

La gauche…Parlons en justement de cette expression ! Elle aussi a été victime d’une déformation de de sens originel depuis des années. On nous présente encore un clivage droite/gauche qui pourtant ne correspond plus aux réalités politiques d’aujourd’hui. Si l’on s’attarde sur l’histoire politique, force est de contaster que depuis son virage libéral de 1983, la gauche, essentiellement Mitterandienne, a rejoint progressivement bon nombre des positions de la droite sur la grande majorité des sujets notamment économique. Elle ne se distingue d’elle aujourd’hui que sur des sujets essentiellement sociétaux dont le mariage homosexuel demeure l’exemple manifeste. Dans l’opinion commune, la gauche se portait davantage sur la défense des gens de peu que sur celle des minorités en tout genre. Or,  qui pourrait dire aujourd’hui, sans une complète mauvaise foi, que la gauche au pouvoir défend les couches populaires ?

Que l’on s’entende bien. Votre serviteur n’est pas un trumpiste. Il est en revanche républicain, d’autres diraient souverainiste. Je préfère en effet le premier mot. Jean Pierre Chevènement  jugeait que le mot « républicain » se suffit à lui-même puisque une République ne peut s’exprimer qu’au travers de sa Nation, c'est-à-dire du peuple, ou/et de ses représentants souverains.  Je ne cherche pas à légitimer un quelconque programme politique mais je m’inquiète en revanche de l’influence grandissante, pour ne pas parler d’une colonisation culturelle, que les médias exercent  aujourd’hui sur les masses. Pour reprendre les mots de Christopher Lash, grand sociologue américain grandement repris pour cet article :

 « Il fut un temps où ce qui était supposé menacer l’ordre social et les traditions civilisatrices de la culture occidentale, c’était la « révolte des masses ». De nos jours, cependant, il semble bien que la principale menace proviennent non des masses, mais de ceux qui sont au sommet de la hiérarchie »

 Cet article entend démontrer que la modification du sens des mots pour essayer de présenter un soit disant fait qui en cache en réalité un autre (exemple : utiliser l’expression de « vivre ensemble » pour parler d’un fait, la ghettoïsation ethnique et religieuse des quartiers) est un démarche qui est entreprise depuis bien des années par les chiens de garde qui pourtant la dénonce hypocritement.

Christopher Lasch, grand sociologue américain.

Le populisme contre les médias.


D’habitude le lecteur assidu d’actualités politiques constate souvent que le mot populiste est utilisé comme un phénomène à combattre. Ce n’est pas le cas ici où j'entend rappeler le sens véritable et originel de ce mot. Abordons en premier lieu l’origine du mot et son véritable sens avant de s’attarder sur le sujet de Donald Trump.

Historiquement le mot « populiste » est apparu à la suite d’un mouvement populaire qui a vu le jour aux Etats Unis. Des ouvriers s’étaient associés à des petits fermiers indépendants pour manifester contre la politique économique fédérale qui les asphyxiaient progressivement par un favoritisme en faveur des gros industriels agronomiques et manufacturiers. Il est saisissant de constater que leur slogan était alors de « remplacer le gouvernement de Wall Street, par Wall Street, et pour Wall Street, par le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple » faisant ainsi référence au célèbre discours de Gettysburg d’Abraham Lincoln. D’après le philosophe Jean Claude Michéa le mot, dans sa définition, renvoie à  « un combat radical pour la liberté et l’égalité au nom de vertus populaires » regroupant « tous les efforts des simples gens pour maintenir une civilité démocratique minimal ». Nous sommes donc loin des fantasmes démagogiques ou totalitaires lancés à longueur de une par notre presse habituelle et quotidienne.        
          
Michéa soulève deux remarques sur le sens contemporain du mot « populisme » et de son utilisation par la majeure partie du monde médiatique. Premièrement,  il devenu difficile, voir impossible pour nos « médias officiels de célébrer la décence des gens ordinaires ou la capacité du peuple à se gouverner directement lui-même ». Deuxièmement, ceux-ci n’en viennent jamais à appliquer cette vision « anthropologique négative » du peuple « aux élites elles-mêmes ». Effectivement,  la caste médiatique « tient toujours pour acquis que ceux qui nous gouvernent – ou qui dirigent les grandes institutions internationales (…) – sont, quant à eux, des individus admirables qui s’efforcent, en toutes circonstances, d’accomplir leur devoir le mieux possible ». Le philosophe poursuit en jugeant que l’expression « tous pourris » serait inacceptable à appliquer aux « classes dominantes » mais tout à fait acceptable lorsqu’elle concerne « les gens ordinaires ». Or, on peut constater qu’il n’existe aucun mot pour qualifier « ce qui serait l’attitude symétrique du « populisme », c'est à dire celle d' "avoir tendance d’idéaliser le monde des élites et à protéger en permanence leur réputation, ce qui constitue un bon résumé (…) du métier de journaliste moderne, qu’il s’exerce sur TF1 ou sur Canal Plus ». Non content d’avoir changé radicalement et de manière antagonique le sens du mot populiste, les classes dominantes n'ont en plus jamais cherché, sur la base de ce sens travesti, un mot correspondant à leurs propres classes.

Le mot est aujourd’hui utilisé pour donner court  à tout débat qui s’inclinerait en faveur du peuple et de ses envies.  Tout au plus les élites politiques de bonne foi qui tente de redonner à ce mot son sens originel se voit considérer comme des personnes indignes de leur fonction. Nicolas Dupont-Aignan, ancien de l’ENA et de l’UMP,  avait été l’invité sur le plateau du Grand Journal. Jean Michel Aphathie, journaliste de l’émission, avait alors insinué que la sortie de l’euro présentée par le programme de Debout la France consistait en une politique économique irresponsable. Dupont-Aignan, en réplique, en plus d’avoir citer dans une autre émission du Grand Jounal la Suède ou le Danemark comme exemples qui s’en sortaient bien sans la monnaie unique, avait demandé au célèbre journaliste à l’accent pyrénéen sa rémunération pour se permettre de critiquer un programme qui, quoi qu’on en dise, avait pour finalité de se préoccuper d’un sujet aujourd’hui important : l’euro. Monsieur Apathie, offusqué par cette question, n’avait pas mis moins de quinze secondes à accuser Nicolas Dupont Aignan de faire le lit du populisme. Peu importe ici la rhétorique du chef de Debout la France qui en soit peut également être contestable. Le plus important est de constater à quel point les journalistes les plus en vus aujourd’hui sur nos plateaux de télévision ont une si basse estime des mouvements populistes et par là même des classes populaires.



Et c’est exactement le même procédé qui s’est déroulé avec l’élection de Donald Trump. Si l’on s’en tient à notre définition originelle, aussi bien le discours populiste de Donald Trump que son programme relevait du populisme. Or, une des principales caractéristiques de la campagne de Donald Trump consistait en l’expression d‘un clivage entre d’une part une Amérique profonde et rurale, non cosmopolite, précaire, et appauvrie par des décennies de libéralisme financier à outrance, et d’autre part une caste de dominants mondialisés, cosmopolites, et abusivement matérialistes . Elle est venue exprimer l’exaspération d’une grande partie du peuple américain moyen et pauvre contre le refus des  dominants de tout poil à défendre leurs intérêts. Ces longues années de mépris total des parvenus à l'encontre des classes populaires expliquent, à mon sens, le radicalisme de certaines mesures gouvernementales par lesquelles l’administration Trump a découragé l’IVG ou bloqué intégralement l’immigration à l’origine de certains Etats ( 7 Etats sur  197 : les cassandres de la Sillicon Valley, très critiques à l'égard de cette dernière initiative, ont encore de la marge en terme de ressources humaines…). Je n’exclus pas pourtant toute interrogation sur la pertinence de cette politique migratoire. Bien qu'elle soit motivée par des motifs de sécurité nationale notamment au sujet de Daesh, il est pourtant connu que le territoire des Etats Unis n’est plus aujourd’hui celui visé à titre principal par l’organisation terroriste. Celle-ci préfère au contraire s’attaquer à l’Europe, « ventre mou de l’Occident », mais c’est un autre sujet.

Plus globalement, le sujet de l’immigration a toujours revêtu une importance croissante  pour les classes populaires. Or le terme même d’ « immigration » a été depuis longtemps galvaudé par nos dominants toujours en recherche de l’abaissement systématique des particularismes locaux, des frontières ou de n’importe quelles distinctions culturelles.  A ce titre, il est intéressant de voir comment le mot « migrant » a été utilisé ces dernières années en faveur du "sansfrontiérisme". L’utilisation systématique de ce mot  par nos journaux et oligarques politiques révèlent avec éclat l’aspiration de ceux-ci à un universalisme béat, sans frontières qu’ils cherchent à imposer aux classes populaires rétives. Et pour cause la définition de ce mot sobre ne revêt aucune dimension juridique et occulte toute explication sur la cause du déplacement et ses conséquences. Roseline Letteron, professeur de droit, donne une explication saisissante de l’utilisation de ce mot : « Même la terminologie employée semble inadaptée à cette crise [migratoire]. C’est ainsi que la presse préfère désormais parler de « migrants » (…) et ne se réfère plus aux « demandeurs d’asile » ou aux « réfugiés ». Or [le terme] de migrants [est dépourvu] de contenu juridique. » Il désigne « seulement des déplacements volontaires de populations ou d’individus d’un pays à un autre, sans précision sur leurs motifs qu’ils soient politiques ou économiques. » On retrouve ici la tendance des nos gouvernants et de notre presse officielle à éviter la référence à toutes motivations ou explications de ces déplacements. Seul compte le déplacement qu’induit la définition sobre du mot « migrant ». Par l’usage de cet unique mot en référence à l’immigration c’est l’unique mobilité, notion extrêmement précieuse au libéralisme et à la mondialisation,  qui est promeut. Le migrant se déplace et rien ne doit entraver son déplacement. Aucune considération politique ou sociale ne doit être prise en compte pour prendre de la hauteur sur les raisons de celui-ci. L’utilisation de ce mot plutôt que celui d’« immigré », de « demandeur d’asile », ou de « réfugié », qui impliquent, eux, la prise en compte d’un véritable statut et tendent à expliquer les véritables motivations de celui qui se déplace, n’est pas anodine et relève d’une véritable entreprise de nos dominants à influencer notre sens critique. Tout comme le mot populisme, le mot « migrant », par son aspect austère, entend décliner toute doléance populaire au sujet de l’immigration.

Dans un monde où  seul compte pour les élites l’abaissement des barrières et des frontières sur toutes leurs formes, la moindre exigence impliquant une régulation de la mobilité est considérée systématiquement comme arriérée, archaïque, ou réactionnaire. On notera cependant qu’à l’inverse du mot populisme qui est aujourd’hui utilisé dans son seul sens péjoratif, le mot « migrant » est utilisé dans une optique d’oblitération complète des enjeux réels que représentent l’immigration    en terme démographique, économique, sociale. A l’inverse, les médias préfèrent se gargariser de nombreux reportages ne faisant appel qu’à la seule émotion, si ce n’est à la culpabilisation de leurs spectateurs ( les journalistes de Canal Plus s’en sont fait une spécialité ). On trouve ainsi rarement des émissions de grande audience tels que les journaux télévisés de 20 heures présentant objectivement et avec distance les raisons de la crise migratoire, mais majoritairement des reportages présentant une association ou des particuliers qui par élan humaniste prennent à leur charge une famille de « migrants ». Le registre de l’émotion est alors prééminent sur celui de la réflexion. Quoi que l’on pense du sujet, celui de l’accueil des « migrants » est le seul qui doit compter dans le débat sur la crise migratoire, rien d’autres ne sauraient être discutés.

Revenons en à Donald Trump . Le nouveau Président américain a promis des choses qui ont de l’écho dans l’électorat populaire : régulariser, grâce à une préférence économique nationale, une finance internationale devenu folle, établir un programme étatique pour  renouveler les infrastructures de différentes régions américaines délaissées et partant réduire le chômage, lutter contre un immigration massive en provenance du Mexique, combattre le terrorisme au côté de Vladimir Poutine, etc. Et pour les promouvoir, Trump, il est vrai, n’y est pas allé pas par quatre chemins. Il a ainsi multiplié les provocations à l’égard de quiconque critiquerait son programme. Sa meilleure arme durant sa campagne a été son compte tweeter à partir duquel il n’a pas hésité à s’en prendre avec véhémence aux journaux qui le conspuaient, aux militants associatifs qui l’apostrophaient, et aux politiques qui le dénigraient y compris dans son propre camp. La seule chose que n’avaient pas compris l’ensemble de ses détracteurs c’est que ce procédé très propre à Trump consistait en une arme électorale redoutable, réfléchie et organisée à l’avance. Se présenter comme le représentant d’une classe profonde américaine contre les dominants, représentants de l’etablishement, voilà en quoi consistait la stratégie politique de ce magnat de l’immobilier.  Son discours électoral, violent et provocateur, lui ont fait mérité toutes sortes de qualificatifs : nazi, populiste, réactionnaire, mysogine, islamophobe, raciste. Mais  son discours n’occultait pas les enjeux de l’immigration. Trump appelait un migrant, un immigré. Ce qu’il en concluait était ensuite à prendre avec réflexion bien entendu mais plutôt que d’aborder le thème de l’immigration sur la  seule vague de la l’ « humanisme » ou de la « diversité culturelle, chance de notre pays », il l’évoque ses plausibles conséquences sociales, économiques, et sécuritaires.  Son discours n'a fait que traduire les aspirations d’une classe américaine majoritaire à défier ses dominants, mais aussi à retrouver des cadres moraux et un particularisme culturel et social aujourd’hui noyés dans la mondialisation.

Pourtant il faut garder une certaine distance à l’égard de ce Président peu ordinaire. Il est vrai que pour l’instant monsieur Trump a traduit son discours en acte, notamment au travers de la signature des différents décrets suscités. Mais c’est une pratique commune aux Présidents américains que de prendre des mesures correspondant en tout lieu aux aspirations de leur électorat avant, finalement, de se tempérer face aux pressions croissantes qui naissent en cours de mandat. De plus, on peut reconnaître que son imprévisibilité et sa fougue peuvent nous rendre dubitatif. Mais faut-il pourtant prononcer un anathème dès lors que celui-ci s’exprime ? Non, il est préférable de comprendre, non pas d’excuser, mais de comprendre les causes et les raisons d’une telle exacerbation comportementale et politique exprimée non seulement par le nouveau Président mais aussi sa base électorale. Or, comme vous l’aurez compris, l’origine de cette exaspération puisent ses racines dans le mépris des classes dominantes à l’encontre des couches populaires, et des aspirations de ces dernières trop longtemps dénigrés y compris par la gauche.


"La gauche" en question.


L’actualité politique a été l’occasion pour la presse de représenter une énième fois l’organisation politique telle qu’elle nous est présentée depuis maintenant plus d’un demi-siècle en France : la gauche contre la droite. Pourtant les frontières sont aujourd’hui largement brouillées. Que doit-on entendre de nos jours par la gauche lorsque le parti socialiste - qui s’estime comme en étant le principal représentant – n’a présenté aucune mesure en faveur des classes populaires depuis plus de vingt cinq ans ?

Encore plus glissant, on pourrait maintenir, à l’instar de ce que suggère Roland Dumas (et Dieu seul sait le libéral qu’il demeure…), qu’une force politique de gauche porte comme projet minimum un tempérament aux effets du capitalisme. Mais as-t-on eu  ne serait-ce qu’une impression de lutte contre les excès du capitalisme sous François Hollande, ou même encore sous François Mitterrand ? Non, le virage libéral de 1983, le traité de Maastricht de 1992, et la loi El-khomri, parmi tant d’autres choix politiques, suffisent à nous en convaincre. De notre temps, il est plus rationnel  de considérer que le parti socialiste a moins à voir avec le socialisme originel qu’avec une sacro-sainte révérence pour une économie et une politique du marché pourtant devenues périmées aux yeux d'une majorité de français.

Mais qu’est ce que la gauche historiquement ? Il existe un lieu commun répandu consistant à croire que la gauche s'est toujours vouée corps et âme à la défense du prolétariat ; mais le tableau est en fait plus subtile. Au sens historique et sémantique du terme, la gauche ne s'est jamais traduite idéologiquement par une défense acharnée du monde ouvrier comme le faisait le socialisme. Jean Claude Michéa a éclairci cette marque idéologique dans "Le complexe d'Orphée : La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès.". Si l’on remonte avant l’affaire Dreyfus, l’émergence des forces politiques issues du régime républicain né de 1870 se présentait en trois grandes composantes « qui mettait aux prises les Blancs de la droite monarchiste et catholique, les Bleus de la gauche républicaine, libérale et progressiste et les Rouges du mouvement socialiste, communiste et anarchiste, qui entendaient bien, pour leur part, agir de façon indépendante des deux autres forces ». Or, poursuit Michéa, ce n’est qu’à partir de l’affaire Dreyfus que les principales forces du socialisme et du communisme français (les Rouges) se joindront aux forces républicaines (les Bleues) entendues au sens large. Et c'est de cette gauche "libérale et progressiste" dont il est question de nos jours lorsque l'on parle du P.S, très proche idéologiquement de la droite moderne. Contrairement à ce que soutient l’historien Maurice Aghulon - pour qui le clivage d’aujourd’hui entre la droite et la gauche est né de la révolution - l’opposition contemporaine entre les forces de droite et de gauche  est née de l’affaire Dreyfus. En des termes plus schématiques Les Républicains et les Socialistes se situent aujourd'hui chez les Bleues, les communistes et la France Insoumise chez les Rouges, alors que le Front National et Debout la France se retrouvent par leurs positions  réactionnaires chez les Blancs.

Sur ce postulat, on comprend donc que la gauche contemporaine, telle que celle représentée par le parti socialiste n’a strictement rien à voir historiquement avec le socialisme français. Elle relève au contraire d’une gauche née de la Révolution Française, et qui s’est présentée en permanence comme « le parti du mouvement, du progrès et des Lumières » contre celui de la droite contre-révolutionnaire. C’est d’ailleurs d’une logique implacable lorsque l’on s’aperçoit que le clivage moderne entre gauche et droite est présentée par les journaux comme une opposition binaire entre une droite supposée « conservatrice » et « réactionnaire » et une gauche  « progressiste ».

Avec l’actualité, on s’aperçoit justement que le mot « progressiste » et ses branches sont utilisés à tort et à travers par tous les candidats à la primaire de la gauche pour se distinguer des forces politiques de droite. Il est ainsi fréquent d’entendre une personne de gauche se distinguer de la droite par son appartenance au parti du « progrès ». Seulement, le mot « progrès » a été retourné contre le peuple par les dirigeants de gauche et de droite depuis l’instauration de la Vème République. En effet, alors que les forces républicaines de gauche issues de la IIIème République confondaient volontiers la cause du progrès avec la cause du peuple, elles tendent depuis les années quatre-vingt à faire une large distinction entre la cause de ce dernier et la « Raison ». De nos jours une revendication populaire est ainsi systématiquement considérée par la gauche comme exagérée, déraisonnable, ou utopique. D’ailleurs Michéa, sur un ton plus comique, présente " les chroniqueurs de Libération, des Inrockuptibles ou du Grand Journal de Canal Plus ", tous des médias de gauche, comme les champions en la matière. Tous ces représentants  de la gauche emploient inconsciemment et cocassement le même procédé de distinction des causes que celui qu’utilisaient « les libéraux comme Guizot, Royer-Collard ou Victor Cousin, pour opposer systématiquement la « souveraineté de la Raison » (dont ils se percevaient comme les représentants naturels) à celles des classes populaires ».  Si l'on transpose tout cela de nos jours, les Socialistes s’attellent désormais sans relâche à opposer  la souveraineté du marché à l'encontre de la souveraineté du peuple.  Drôle d’évolution...

Or, à partir de la première prise de pouvoir des socialistes en 1981, le Parti se délaisse progressivement des classes populaires pour se tourner vers des classes sociales minoritaires.  Ce délaissement s'illustre à merveille par le célèbre rapport du think tank Terra Nova, affilié aux socialiste, dans lequel il est jugé que la « classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche, [qu'] elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs », et d’en conclure que la gauche doit désormais s’adresser en priorité aux minorités, aux femmes (traduction : les associations féministes), les jeunes diplômés, et les habitants des grands ensembles urbains (traduction bis : l’immigration). La base idéologique et sociologique du parti socialiste a donc complètement bifurquée de sa base électorale d’origine jusqu’à distinguer, conformément aux écrits méprisants du rapport de Terra Nova, les « outsiders » c’est à dire les soit disant laissés pour compte pour qui les socialistes doivent s’abandonner, et les « insiders », c'est-à-dire les couches populaires, l’ancienne majeure partie de l’électorat de la gauche vis à vis desquelles il faut que la gauche se sépare. "Outsiders"…"Insiders"… A en croire le parti socialiste, les prolos et les ouvriers, "insiders", ont déjà tout ce qu’il leur faut. Le Parti Socialiste de 1971, souhaitant au départ se référer à la doxa marxiste traditionnelle pour la défense des milieux populaires et ouvriers, arrivera pourtant progressivement à mépriser ces derniers et à rejoindre à grands pas l'idéologie progressiste et libérale, née de la Révolution française, mais détournée de sa finalité à partir des années 1980.

Au risque de s’éloigner un peu du sujet, on portera notre attention sur la démonstration de Michéa quant au retentissement idéologique incroyable du mot « progrès » dans l’attitude et la pensée des hommes et femmes politiques de gauche. Ce retentissement, le philosophe l’analyse comme un refus du passé de la part des forces politiques de gauche, c'est-à-dire d’une " une gauche qui ne sait plus tirer les leçons de son passé, ni porter un seul regard en arrière contrairement à leurs prédécesseurs du XIXème siècle, sous crainte d’être qualifié de réactionnaire". Il y a une invraisemblable « certitude obsessionnelle » du politique de gauche « que tout va mieux qu’hier » ; certitude qui s’accompagne malheureusement d’ « une interdiction religieuse de regarder en arrière, d’accorder le moindre intérêt à l’expérience des civilisations antérieures ».



La décolonisation de nos esprits.


Cet article entendait donc démontrer que ceux sont les exacts opposants à ceux que représentent Donald Trump qui utilisent le procédé dictatorial de la déformation du sens des mots présenté dans le célèbre roman d’Orwells, et ce depuis bien des années. Aussi ajouterons-nous que les mots présents dans cet article n'en constituent malheureusement pas une liste exhaustive. Parmi tant d’autres, on pourrait citer également le mot de « fascisme », utilisé à foison pour disqualifier tout interlocuteur qui entendrait proposer une quelconque mesure un tant soit peu liberticide (on a pourtant jamais qualifié comme tel ceux qui ont proposé l’interdiction de fumer dans les lieux publics, y compris les restaurants…).  Il suffit pourtant de lire un historien comme Serge Berstein pour comprendre le dévoiement de ce mot.  Le fait de chercher à terroriser de cette manière le contradicteur ne constitue-t-il pas un procédé aussi extrémiste que la définition du fascisme, c’est à dire « un régime politique qui considère que ses idées doivent s’imposer à toute la société » non seulement à l’échelle collective mais aussi à l’échelle individuelle ?

Comment aujourd’hui faire en sorte de ne plus nous faire duper sur le véritable sens des mots présentés dans le débat politique ? Les médias ont un telle omniprésence dans nos vies qu’il est bien difficile de ne pas être victime de ce détournement sémantique.  Nous vivons  à l’ère du numérique, de l’immédiateté, nous voulons tout savoir, n’importe quand, n’importe où et cela la classe médiatique  des journaux d’informations officiels sait l'utiliser à son profit.

L’information quotidienne constitue une vraie arme de subordination de l’individu à une idéologie donnée. Bon nombre de recherches et d’essais ont été publiés sur la faculté des grands médias, possédés en majeure partie par des grands magnats du capitalisme moderne, d’influer sur notre pensée. Le livre « les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi ou « la violence des riches » des époux Pincon-Charlot en constituent une saisissante illustration. Par conséquent, comment faire pour nous soustraire à ce vicieux procédé ?

La solution est simple : la décolonisation de nos esprits, c'est à dire d'arrêter de penser en grande partie par rapport à ce que nous rabâchent quotidiennement les médias de masse. Elle suppose la diversité des sources d'informations dans leur typologie qu'elles soient journalistiques, politiques, universitaires, partisanes, etc. Elle ne peut s’opérer que par la curiosité à notre monde, à la culture, et non pas seulement celle qui à attrait à notre idée des choses mais aussi celle qui en est l’exact opposée. Une lecture diversifiée reste un moyen extraordinaire d’émancipation pour celui qui entend parvenir à une meilleure compréhension de son monde que ce soit à l’échelle globale ou locale. Mais la lecture ne demeure pas l’unique moyen pour celui qui cherche à assouvir cette ambition bien noble. Le débat politique en est l’autre, si ce n’est, primordial moyen.


Il est souvent soulevé comme argument que l’individu moyen issu des classes populaires n’est plus en capacité à proposer des idées raisonnables né d’une réflexion tout aussi attentive. C’est un argument qui n’est pas recevable. C’est une forme de mépris incroyable à l’égard d’une majorité de nos concitoyens. Il suppose que seul le français, richement diplômé, devrait être à même de pouvoir participer au débat politique et de proposer ses idées.  Les classes populaires sont largement capables d’exprimer leurs idées rationnellement mais elles sont aujourd’hui désintéressées, par lassitude, du débat politique. Plus largement, le débat citoyen, on l’a vu, a décliné au cours de ces trente dernières années. Deux interlocuteurs politiques ne peuvent plus s’empêcher de se conspuer mutuellement autrement que par un qualitatif se terminant par « phobe » (europhobe, islamophobe, xénophobe…) ou « phile » (europhile, islamophile, xénophile…). Les médias ont une immense responsabilité dans cette régression qui touche non seulement notre pays mais aussi une civilisation entière, la civilisation occidentale. A une information de débat s’est substituée une information d’injonction animée à longueur de semaine par des sondages et autres articles aux arguments rédhibitoires. En plus que de retrouver le vrai sens de nos mots, ramenez le débat au sein de l’information quotidienne devrait être le véritable défi auquel nous, le peuple, devrions nous confronter. Christopher Lasch nous faisait remarquer il y déjà plus de vingt ans que maintenir avec fermeté que "le débat est l’essence de l’éducation [c’est défendre] la démocratie comme la forme de gouvernement (…) la plus éducative, telle qu’elle étend aussi largement que possible le cercle de la discussion et oblige ainsi tous les citoyens à articuler leurs conceptions, à les mettre en danger et à cultiver les vertus de l’éloquence, de la clarté de pensée et d’expression,, du jugement solide. ».  

Abraham Lincoln, le rural lecteur...Peinture de Eastman Johnson.

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