Ces derniers temps j’ai pu lire
une foultitude d’articles fustigeant le nouveau président américain à propos
d’une soit-disante corrélation entre les propos
de l’administration Trump, et la « novlang », concept
linguistique mis en avant par Georges Orwell dans son livre 1984 pour dénoncer la déformation du
sens des mots au travers d’un régime dictatorial. Le célèbre roman de l’auteur
américain posait comme cadre narratif une dictature totalitaire (certains
confondent encore les deux mots…) inventant et imposant un langage bien précis
aux masses dans le but d’empêcher toute contestation politique par des mots qui
deviendraient alors inaudibles aux
oreilles des citoyens de l’Océania ( pays fictif du roman).
La phrase à l’origine de ce parallèle
douteux ? Elle nous vient de Kellyanne Coneway, conseillère de Donald
Trump, qui durant une interview a osé parler de « faits alternatifs » en réponse aux détracteurs de son "employeur" qui s’étaient gargarisés que l’investiture de Donald Trump ait réunit
moins de monde que son prédécesseur en 2009. Ces opposants pourraient cependant
avoir l’intelligence de reconnaître que l’investiture présidentielle de 2009
présentait un enjeu historique - celui d’un premier homme noir à la tête de la
maison blanche - différent que celle de 2017 pour expliquer cette moindre
mobilisation.
Mais revenons à nos « faits alternatifs ». En effet Mme
Coneway, pour défendre le porte parole à la maison blanche, Sean Spicer – qui a
déclaré non sans assurance que l’investiture de Mr Trump avait été la plus
grande en termes d’audience - a argué que les journaux présentaient des « faits
alternatifs » à ceux présentés par son collègue. Horreur, les médias
et la bienpensance se mobilisent : comment peut-on utiliser ce langage
insoupçonné d’usage jusqu’alors ? Le monde médiatique s’emballe et dénonce
un parallèle entre d’une part, l’entreprise de Mme Coneway et de Mr Spicer, et
d’autre part celle de la dictature imaginée par Orwell : la déformation
des mots par rapport aux faits. Pour illustration, Violaine Morin, journaliste
au journal Le Monde, écrit dans un article du 26 janvier 2017 : Les « faits alternatifs »
défendus par la conseillère de Donald Trump ont rappelé les souvenirs de
lecture à de nombreux Américains (…) « Un « désaccord sur les
faits » ou l’existence de « faits alternatifs » n’est pas
possible, un fait est un fait : soit il s’est produit, soit non. »
Outre que cette assertion en dit long
sur l’état d’esprit qui règne dans les milieux journalistiques
des médias officiels (« nous sommes
les seuls à détenir la vérité »), la formule ne manque pas d’hypocrisie de
la part d’une caste médiatique qui s’atèle depuis maintenant quarante
ans à nous présenter des faits à leur sauce. En tout cas, il n’en fallut pas moins de la part de la journaliste et de nombre de ses collègues pour que les
contestataires en manque d’attitude rebelle se lancent sur internet et dans les
librairies à l’assaut du fameux roman orwellsien. Les grands journaux, après
tout, les incitaient grandement : la dictature trumpienne, menaçante à
l’égard de (leur) l’ordre libéral, s’installe insidieusement et cela commence par un maniement machiavélique
des mots.
Malheureusement c’est ici que le
bât blesse pour nos élites. Mais parlons plutôt ici de dominants. Il n’y a
après tout, d’après Marx, qu’une seule culture, et même qu’une seule opinion,
celle des dominants ;entendons par là les hommes et femmes à la tête d'organismes d'influence qu'ils soient politiques, médiatiques, ou économiques (on peut être une élite sans
pour autant être dominant mais l’inverse est systématique). En effet, ce
processus linguistique tant dénoncé ces derniers jours à propos de
l’administration Trump (a supposé qu’elle l’ai vraiment utilisé ) est employé
depuis maintenant de longues années par ces tartuffes du monde journalistique. Ils n’ont pas encore digérer l’accès au
pouvoir suprême américain d’un candidat qui, aussi controversé soit-il, a
répondu dans ses discours mais aussi par ses premiers actes gouvernementaux (décret
anti-immigration, lutte contre les abus commerciaux aux consommateurs, décret
décourageant l’IVG pour les plus «hard core »…) à un électorat
essentiellement exclut de la mondialisation : une base populaire,
essentiellement rurale, connaissant chômage, disposant d'une faible retraite, de services
défectueux et j’en passe et des meilleures.
En plus de cet événement, nos
dominants ont encore au travers de la gorge l’épisode du Brexit. A ces deux
actualités démocratiques, qui ne constituent que l'expression d’un peuple souverain qui s’élèvent contre une
mondialisation et un libéralisme de plus en plus effrayant - les dominants ont
répondu par le mot, « populisme », injure suprême de notre époque,
pour qualifier tout mouvement contestataire de l’ordre établi. Tous les partisans
du Brexit ou de Donald Trump sont alors qualifiés de
« populistes » par les tenants du système médiacratique. Ce terme, exclusivement
péjoratif à leurs yeux, dispose pourtant d’un sens originel historique positif.
La différence d’usage dans la définition de ce mot démontre la manière par laquelle les dominants ont transgressé le
sens de celui-ci jusqu’à le travestir au bénéfice de leurs intérêts. Utilisé aujourd’hui pour disqualifier n’importe quel de leur adversaire qui en appellerait au peuple et à ses envies,
les élites dominantes lui font porter comme sens commun (mais non véridique) le
caractère de ce qui pourrait relever de la démagogie, de la déraison, si ce
n’est du fascisme (autre fameuse expression utilisée par la gauche moderne pour qualifier n’importe quelle opposition « réactionnaire » ). De
cette perspective, il n’est guère étonnant qu’aujourd’hui les partis
traditionnels, complètement détachés du peuple, l’emploie à foison pour
décrédibiliser leurs adversaires politiques et leurs programmes. La gauche
s’est montrée particulièrement friande dans l’usage de cette expression à
l’instar d'un Manuel Valls qui qualifiait la victoire de Donald Trump comme celle
d’un "triomphe populiste".
La gauche…Parlons en justement de
cette expression ! Elle aussi a été victime d’une déformation de de sens originel depuis des années. On nous
présente encore un clivage droite/gauche qui pourtant ne correspond plus aux
réalités politiques d’aujourd’hui. Si l’on s’attarde sur l’histoire politique,
force est de contaster que depuis son virage libéral de 1983, la gauche,
essentiellement Mitterandienne, a rejoint progressivement bon nombre des
positions de la droite sur la grande majorité des sujets notamment économique. Elle ne se distingue
d’elle aujourd’hui que sur des sujets essentiellement sociétaux dont le mariage
homosexuel demeure l’exemple manifeste. Dans l’opinion commune, la gauche se
portait davantage sur la défense des gens de peu que sur celle des minorités
en tout genre. Or, qui pourrait dire
aujourd’hui, sans une complète mauvaise foi, que la gauche au pouvoir défend les couches populaires ?
Que l’on s’entende bien. Votre
serviteur n’est pas un trumpiste. Il est en revanche républicain, d’autres
diraient souverainiste. Je préfère en effet le premier mot. Jean Pierre
Chevènement jugeait que le mot « républicain »
se suffit à lui-même puisque une République ne peut s’exprimer qu’au travers de
sa Nation, c'est-à-dire du peuple, ou/et de ses représentants souverains. Je ne cherche pas à légitimer un quelconque programme politique
mais je m’inquiète en revanche de l’influence grandissante, pour ne pas parler
d’une colonisation culturelle, que les médias exercent aujourd’hui sur les masses. Pour reprendre les
mots de Christopher Lash, grand sociologue américain grandement repris pour cet
article :
« Il fut un temps où ce qui était supposé
menacer l’ordre social et les traditions civilisatrices de la culture
occidentale, c’était la « révolte des masses ». De nos jours, cependant,
il semble bien que la principale menace proviennent non des masses, mais de
ceux qui sont au sommet de la hiérarchie »
Cet article entend démontrer que la modification
du sens des mots pour essayer de présenter un soit disant fait qui en cache
en réalité un autre (exemple : utiliser l’expression de « vivre
ensemble » pour parler d’un fait, la ghettoïsation ethnique et religieuse
des quartiers) est un démarche qui est entreprise depuis bien des années par
les chiens de garde qui pourtant la dénonce hypocritement.
Christopher Lasch, grand sociologue américain.
Le populisme contre les médias.
D’habitude le lecteur assidu d’actualités
politiques constate souvent que le mot populiste est utilisé comme un phénomène à
combattre. Ce n’est pas le cas ici où j'entend rappeler le sens
véritable et originel de ce mot. Abordons en premier lieu l’origine du mot et
son véritable sens avant de s’attarder sur le sujet de Donald Trump.
Historiquement le mot « populiste »
est apparu à la suite d’un mouvement populaire qui a vu le jour aux Etats Unis.
Des ouvriers s’étaient associés à des petits fermiers indépendants pour
manifester contre la politique économique fédérale qui les asphyxiaient
progressivement par un favoritisme en faveur des gros industriels agronomiques
et manufacturiers. Il est saisissant de constater que leur slogan était
alors de « remplacer le gouvernement de Wall Street, par Wall Street, et
pour Wall Street, par le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le
peuple » faisant ainsi référence au célèbre discours de Gettysburg d’Abraham
Lincoln. D’après le philosophe Jean Claude Michéa le mot, dans sa définition, renvoie à « un combat radical pour la liberté et l’égalité au nom de vertus
populaires » regroupant « tous les efforts des simples gens pour
maintenir une civilité démocratique minimal ». Nous sommes donc loin des
fantasmes démagogiques ou totalitaires lancés à longueur de une par notre
presse habituelle et quotidienne.
Michéa soulève deux remarques sur
le sens contemporain du mot « populisme » et de son utilisation par la
majeure partie du monde médiatique. Premièrement, il devenu difficile, voir impossible pour nos
« médias officiels de célébrer la décence des gens ordinaires ou la
capacité du peuple à se gouverner directement lui-même ». Deuxièmement,
ceux-ci n’en viennent jamais à appliquer cette vision « anthropologique
négative » du peuple « aux élites elles-mêmes ».
Effectivement, la caste médiatique
« tient toujours pour acquis que ceux qui nous gouvernent – ou qui
dirigent les grandes institutions internationales (…) – sont, quant à eux, des
individus admirables qui s’efforcent, en toutes circonstances, d’accomplir leur
devoir le mieux possible ». Le philosophe poursuit en jugeant que l’expression
« tous pourris » serait inacceptable à appliquer aux « classes
dominantes » mais tout à fait acceptable lorsqu’elle concerne « les
gens ordinaires ». Or, on peut constater qu’il n’existe aucun mot
pour qualifier « ce qui serait l’attitude symétrique du
« populisme », c'est à dire celle d' "avoir tendance d’idéaliser le monde des élites et à
protéger en permanence leur réputation, ce qui constitue un bon résumé (…) du
métier de journaliste moderne, qu’il s’exerce sur TF1 ou sur Canal Plus ».
Non content d’avoir changé radicalement et de manière antagonique le sens du
mot populiste, les classes dominantes n'ont en plus jamais cherché, sur la base
de ce sens travesti, un mot correspondant à leurs propres classes.
Le mot est aujourd’hui utilisé pour donner court à tout débat qui s’inclinerait en faveur du
peuple et de ses envies. Tout au plus
les élites politiques de bonne foi qui tente de redonner à ce mot son sens originel se voit considérer comme des
personnes indignes de leur fonction. Nicolas Dupont-Aignan, ancien de l’ENA et
de l’UMP, avait été l’invité sur le
plateau du Grand Journal. Jean Michel
Aphathie, journaliste de l’émission, avait alors insinué que la sortie de
l’euro présentée par le programme de Debout la France consistait en une
politique économique irresponsable. Dupont-Aignan, en réplique, en plus d’avoir
citer dans une autre émission du Grand Jounal la Suède ou le Danemark comme
exemples qui s’en sortaient bien sans la monnaie unique, avait demandé au célèbre
journaliste à l’accent pyrénéen sa rémunération pour se permettre de critiquer
un programme qui, quoi qu’on en dise, avait pour finalité de se préoccuper d’un
sujet aujourd’hui important : l’euro. Monsieur Apathie, offusqué par cette
question, n’avait pas mis moins de quinze secondes à accuser Nicolas Dupont
Aignan de faire le lit du populisme. Peu importe ici la rhétorique du chef de
Debout la France qui en soit peut également être contestable. Le plus important
est de constater à quel point les journalistes les plus en vus aujourd’hui sur
nos plateaux de télévision ont une si basse estime des mouvements populistes et
par là même des classes populaires.
Et c’est exactement le même
procédé qui s’est déroulé avec l’élection de Donald Trump. Si l’on s’en tient à
notre définition originelle, aussi bien le discours populiste de Donald Trump
que son programme relevait du populisme. Or, une des principales
caractéristiques de la campagne de Donald Trump consistait en l’expression d‘un
clivage entre d’une part une Amérique profonde et rurale, non cosmopolite,
précaire, et appauvrie par des décennies de libéralisme financier à outrance, et
d’autre part une caste de dominants mondialisés, cosmopolites, et abusivement
matérialistes . Elle est venue exprimer l’exaspération d’une grande partie du
peuple américain moyen et pauvre contre le refus des dominants de tout poil à défendre leurs
intérêts. Ces longues années de mépris total des parvenus à l'encontre des classes
populaires expliquent, à mon sens, le radicalisme de certaines mesures
gouvernementales par lesquelles l’administration Trump a découragé l’IVG ou bloqué intégralement l’immigration à l’origine de certains
Etats ( 7 Etats sur 197 : les
cassandres de la Sillicon Valley, très critiques à l'égard de cette dernière initiative, ont encore de la marge en terme de ressources
humaines…). Je n’exclus pas pourtant toute interrogation sur la pertinence de
cette politique migratoire. Bien qu'elle soit motivée par des motifs de sécurité nationale
notamment au sujet de Daesh, il est pourtant connu que le territoire des Etats
Unis n’est plus aujourd’hui celui visé à titre principal par l’organisation
terroriste. Celle-ci préfère au contraire s’attaquer à l’Europe, « ventre
mou de l’Occident », mais c’est un autre sujet.
Plus globalement, le sujet de
l’immigration a toujours revêtu une importance croissante pour les classes
populaires. Or le terme même d’ « immigration » a été depuis
longtemps galvaudé par nos dominants toujours en recherche de l’abaissement
systématique des particularismes locaux, des frontières ou de n’importe quelles
distinctions culturelles. A ce titre, il
est intéressant de voir comment le mot « migrant » a été utilisé ces
dernières années en faveur du "sansfrontiérisme". L’utilisation systématique de ce mot par nos journaux et oligarques politiques
révèlent avec éclat l’aspiration de ceux-ci à un universalisme béat, sans
frontières qu’ils cherchent à imposer aux classes populaires rétives. Et pour cause la définition de ce mot sobre ne revêt aucune dimension juridique et occulte
toute explication sur la cause du déplacement et ses conséquences. Roseline
Letteron, professeur de droit, donne une explication saisissante de
l’utilisation de ce mot : « Même la terminologie employée semble
inadaptée à cette crise [migratoire]. C’est ainsi que la presse préfère
désormais parler de « migrants » (…) et ne se réfère plus aux
« demandeurs d’asile » ou aux « réfugiés ». Or [le terme]
de migrants [est dépourvu] de contenu juridique. » Il désigne
« seulement des déplacements volontaires de populations ou d’individus
d’un pays à un autre, sans précision sur leurs motifs qu’ils soient politiques
ou économiques. » On retrouve ici la tendance des nos gouvernants et de
notre presse officielle à éviter la référence à toutes motivations ou explications de ces déplacements. Seul compte le déplacement qu’induit la définition
sobre du mot « migrant ». Par l’usage de cet unique mot en référence
à l’immigration c’est l’unique mobilité, notion extrêmement précieuse au
libéralisme et à la mondialisation, qui est
promeut. Le migrant se déplace et rien ne doit entraver son déplacement. Aucune
considération politique ou sociale ne doit être prise en compte pour prendre de
la hauteur sur les raisons de celui-ci. L’utilisation de ce mot plutôt
que celui d’« immigré », de « demandeur d’asile », ou de
« réfugié », qui impliquent, eux, la prise en compte d’un véritable
statut et tendent à expliquer les véritables motivations de celui qui se déplace,
n’est pas anodine et relève d’une véritable entreprise de nos dominants à
influencer notre sens critique. Tout comme le mot populisme, le mot
« migrant », par son aspect austère, entend décliner toute doléance
populaire au sujet de l’immigration.
Dans un monde où seul compte pour les élites l’abaissement des
barrières et des frontières sur toutes leurs formes, la moindre exigence
impliquant une régulation de la mobilité est considérée systématiquement comme
arriérée, archaïque, ou réactionnaire. On notera cependant qu’à l’inverse du
mot populisme qui est aujourd’hui utilisé dans son seul sens péjoratif, le mot « migrant »
est utilisé dans une optique d’oblitération complète des enjeux réels que représentent
l’immigration en terme démographique, économique, sociale. A
l’inverse, les médias préfèrent se gargariser de nombreux reportages ne faisant
appel qu’à la seule émotion, si ce n’est à la culpabilisation de leurs spectateurs
( les journalistes de Canal Plus s’en sont fait une spécialité ). On trouve ainsi rarement des émissions de grande audience tels que les
journaux télévisés de 20 heures présentant objectivement et avec distance les raisons de la crise
migratoire, mais majoritairement des reportages présentant une association
ou des particuliers qui par élan humaniste prennent à leur charge une famille
de « migrants ». Le registre de l’émotion est alors prééminent sur
celui de la réflexion. Quoi que l’on pense du sujet, celui de l’accueil
des « migrants » est le seul qui doit compter dans le débat sur la
crise migratoire, rien d’autres ne sauraient être discutés.
Revenons en à Donald Trump . Le
nouveau Président américain a promis des choses qui ont de l’écho dans
l’électorat populaire : régulariser, grâce à une préférence économique
nationale, une finance internationale devenu folle, établir un programme
étatique pour renouveler les
infrastructures de différentes régions américaines délaissées et partant
réduire le chômage, lutter contre un immigration massive en provenance du
Mexique, combattre le terrorisme au côté de Vladimir Poutine, etc. Et pour les
promouvoir, Trump, il est vrai, n’y est pas allé pas par quatre chemins. Il a ainsi
multiplié les provocations à l’égard de quiconque critiquerait son programme.
Sa meilleure arme durant sa campagne a été son compte tweeter à partir duquel
il n’a pas hésité à s’en prendre avec véhémence aux journaux qui le
conspuaient, aux militants associatifs qui l’apostrophaient, et aux politiques
qui le dénigraient y compris dans son propre camp. La seule chose que n’avaient
pas compris l’ensemble de ses détracteurs c’est que ce procédé très propre à
Trump consistait en une arme électorale redoutable, réfléchie et organisée à l’avance.
Se présenter comme le représentant d’une classe profonde américaine contre les
dominants, représentants de l’etablishement, voilà en quoi consistait la
stratégie politique de ce magnat de l’immobilier. Son discours électoral, violent et provocateur, lui ont fait mérité toutes sortes de qualificatifs : nazi, populiste, réactionnaire, mysogine, islamophobe, raciste. Mais son discours n’occultait pas les enjeux de
l’immigration. Trump appelait un migrant, un immigré. Ce qu’il en concluait
était ensuite à prendre avec réflexion bien entendu mais plutôt que d’aborder
le thème de l’immigration sur la seule
vague de la l’ « humanisme » ou de la « diversité
culturelle, chance de notre pays », il l’évoque ses plausibles
conséquences sociales, économiques, et sécuritaires. Son discours n'a fait que traduire les aspirations d’une classe américaine majoritaire à défier ses
dominants, mais aussi à retrouver des cadres moraux et un particularisme
culturel et social aujourd’hui noyés dans la mondialisation.
Pourtant il faut garder une
certaine distance à l’égard de ce Président peu ordinaire. Il est vrai que
pour l’instant monsieur Trump a traduit son discours en acte, notamment au
travers de la signature des différents décrets suscités. Mais c’est une
pratique commune aux Présidents américains que de prendre des mesures
correspondant en tout lieu aux aspirations de leur électorat avant, finalement,
de se tempérer face aux pressions croissantes qui naissent en cours de mandat. De
plus, on peut reconnaître que son imprévisibilité et sa fougue peuvent nous rendre
dubitatif. Mais faut-il pourtant prononcer un anathème dès lors que celui-ci
s’exprime ? Non, il est préférable de comprendre, non pas d’excuser, mais
de comprendre les causes et les raisons d’une telle exacerbation
comportementale et politique exprimée non seulement par le nouveau Président
mais aussi sa base électorale. Or, comme vous l’aurez compris, l’origine de
cette exaspération puisent ses racines dans le mépris des classes dominantes à
l’encontre des couches populaires, et des aspirations de ces dernières trop longtemps
dénigrés y compris par la gauche.
"La gauche" en question.
L’actualité politique a été
l’occasion pour la presse de représenter une énième fois l’organisation
politique telle qu’elle nous est présentée depuis maintenant plus d’un demi-siècle en
France : la gauche contre la droite. Pourtant les frontières sont
aujourd’hui largement brouillées. Que doit-on entendre de nos jours par la
gauche lorsque le parti socialiste - qui s’estime comme en étant le principal
représentant – n’a présenté aucune mesure en faveur des classes
populaires depuis plus de vingt cinq ans ?
Encore plus glissant, on pourrait
maintenir, à l’instar de ce que suggère Roland Dumas (et Dieu seul sait le libéral qu’il demeure…), qu’une force politique de gauche porte comme projet
minimum un tempérament aux effets du capitalisme. Mais as-t-on eu ne serait-ce qu’une impression de lutte contre
les excès du capitalisme sous François Hollande, ou même encore sous François
Mitterrand ? Non, le virage libéral de 1983, le traité de Maastricht de
1992, et la loi El-khomri, parmi tant d’autres choix politiques, suffisent à
nous en convaincre. De notre temps, il est plus rationnel de considérer que le parti socialiste a moins à voir avec le socialisme originel qu’avec une sacro-sainte révérence pour une
économie et une politique du marché pourtant devenues périmées aux yeux
d'une majorité de français.
Mais qu’est ce que la gauche
historiquement ? Il existe un lieu commun répandu consistant à croire que la gauche s'est toujours vouée corps et âme à la défense du prolétariat ; mais le tableau est en fait plus subtile. Au sens historique et sémantique du terme, la gauche ne s'est jamais traduite idéologiquement par une défense acharnée du monde ouvrier comme
le faisait le socialisme. Jean Claude Michéa a éclairci cette marque idéologique dans "Le complexe d'Orphée : La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès.". Si
l’on remonte avant l’affaire Dreyfus, l’émergence des forces politiques issues
du régime républicain né de 1870 se présentait en trois grandes composantes «
qui mettait aux prises les Blancs de la droite monarchiste et catholique, les
Bleus de la gauche républicaine, libérale et progressiste et les Rouges du
mouvement socialiste, communiste et anarchiste, qui entendaient bien, pour leur
part, agir de façon indépendante des
deux autres forces ». Or, poursuit Michéa, ce n’est qu’à partir de
l’affaire Dreyfus que les principales
forces du socialisme et du communisme français (les Rouges) se joindront aux forces
républicaines (les Bleues) entendues au sens large. Et c'est de cette gauche "libérale et progressiste" dont il est question de nos jours lorsque l'on parle du P.S, très proche idéologiquement de la droite moderne. Contrairement à ce que soutient
l’historien Maurice Aghulon - pour qui le clivage d’aujourd’hui entre la droite
et la gauche est né de la révolution - l’opposition contemporaine entre les forces de
droite et de gauche est née de l’affaire Dreyfus. En des termes plus schématiques Les Républicains et les Socialistes se situent aujourd'hui chez les Bleues, les communistes et la France Insoumise chez les Rouges, alors que le Front National et Debout la France se retrouvent par leurs positions réactionnaires chez les Blancs.
Sur ce postulat, on comprend donc
que la gauche contemporaine, telle que celle représentée par le parti socialiste n’a
strictement rien à voir historiquement avec le socialisme français. Elle relève
au contraire d’une gauche née de la Révolution Française, et qui s’est
présentée en permanence comme « le parti du mouvement, du progrès et des
Lumières » contre celui de la droite contre-révolutionnaire. C’est d’ailleurs
d’une logique implacable lorsque l’on s’aperçoit que le clivage moderne entre
gauche et droite est présentée par les journaux comme une opposition binaire entre
une droite supposée « conservatrice » et « réactionnaire »
et une gauche « progressiste ».
Avec l’actualité, on s’aperçoit
justement que le mot « progressiste » et ses branches sont utilisés à tort et à travers par tous les candidats à la primaire de la gauche pour se distinguer des
forces politiques de droite. Il est ainsi fréquent d’entendre une personne de
gauche se distinguer de la droite par son appartenance au parti du
« progrès ». Seulement, le mot « progrès » a été retourné contre
le peuple par les dirigeants de gauche et de droite depuis l’instauration de la Vème
République. En effet, alors que les forces républicaines de gauche issues de la IIIème République confondaient
volontiers la cause du progrès avec la cause du peuple, elles tendent depuis
les années quatre-vingt à faire une large distinction entre la cause de ce dernier
et la « Raison ». De nos jours une revendication populaire est ainsi systématiquement considérée par la gauche comme
exagérée, déraisonnable, ou utopique. D’ailleurs Michéa, sur un ton plus comique, présente " les
chroniqueurs de Libération, des Inrockuptibles ou du Grand Journal de Canal
Plus ", tous des médias de gauche, comme les champions en la matière. Tous ces représentants de
la gauche emploient inconsciemment et cocassement le même procédé
de distinction des causes que celui qu’utilisaient « les libéraux comme Guizot,
Royer-Collard ou Victor Cousin, pour opposer systématiquement la
« souveraineté de la Raison » (dont ils se percevaient comme les représentants
naturels) à celles des classes populaires ». Si l'on transpose tout cela de nos jours, les Socialistes s’attellent désormais sans relâche à opposer la souveraineté du marché à l'encontre de la souveraineté du peuple. Drôle d’évolution...
Or, à partir
de la première prise de pouvoir des socialistes en 1981, le Parti se délaisse progressivement des classes populaires pour se
tourner vers des classes sociales minoritaires. Ce délaissement s'illustre à merveille par le célèbre rapport du think tank Terra Nova, affilié aux socialiste, dans lequel il est jugé que la « classe ouvrière n’est plus le cœur du
vote de gauche, [qu'] elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs »,
et d’en conclure que la gauche doit désormais s’adresser en priorité aux
minorités, aux femmes (traduction : les associations féministes), les
jeunes diplômés, et les habitants des grands ensembles urbains (traduction
bis : l’immigration). La base idéologique et sociologique du parti
socialiste a donc complètement bifurquée de sa base électorale d’origine jusqu’à distinguer, conformément aux écrits méprisants du rapport de Terra Nova, les
« outsiders » c’est à dire les soit disant laissés pour compte pour
qui les socialistes doivent s’abandonner, et les « insiders »,
c'est-à-dire les couches populaires, l’ancienne majeure partie de l’électorat de
la gauche vis à vis desquelles il faut que la gauche se sépare. "Outsiders"…"Insiders"… A en croire le parti socialiste, les prolos et
les ouvriers, "insiders", ont déjà tout ce qu’il leur faut. Le Parti Socialiste de 1971, souhaitant au départ se référer à la doxa marxiste traditionnelle pour la défense des milieux populaires et ouvriers, arrivera pourtant progressivement à mépriser ces derniers et à rejoindre à grands pas l'idéologie progressiste et libérale, née de la Révolution française, mais détournée de sa finalité à partir des années 1980.
Au risque de
s’éloigner un peu du sujet, on portera notre attention sur la démonstration de Michéa quant au retentissement
idéologique incroyable du mot « progrès » dans l’attitude et la pensée des hommes
et femmes politiques de gauche. Ce retentissement, le philosophe l’analyse
comme un refus du passé de la part des forces politiques de gauche,
c'est-à-dire d’une " une gauche qui ne sait plus tirer les leçons de son
passé, ni porter un seul regard en arrière contrairement à leurs prédécesseurs
du XIXème siècle, sous crainte d’être qualifié de réactionnaire". Il y a une
invraisemblable « certitude obsessionnelle » du politique de gauche
« que tout va mieux qu’hier » ; certitude qui s’accompagne
malheureusement d’ « une interdiction religieuse de regarder en
arrière, d’accorder le moindre intérêt à l’expérience des civilisations
antérieures ».
La décolonisation de nos esprits.
Cet article entendait donc démontrer que ceux sont les exacts
opposants à ceux que représentent Donald Trump qui utilisent le procédé
dictatorial de la déformation du sens des mots présenté dans le célèbre roman
d’Orwells, et ce depuis bien des années. Aussi ajouterons-nous que les mots présents dans cet article n'en constituent
malheureusement pas une liste exhaustive. Parmi tant d’autres, on pourrait
citer également le mot de « fascisme », utilisé à foison pour
disqualifier tout interlocuteur qui entendrait proposer une quelconque mesure
un tant soit peu liberticide (on a pourtant jamais qualifié comme tel ceux qui
ont proposé l’interdiction de fumer dans les lieux publics, y compris les
restaurants…). Il suffit pourtant de lire un historien comme Serge Berstein pour comprendre le dévoiement de ce mot. Le fait de chercher à terroriser
de cette manière le contradicteur ne constitue-t-il pas un procédé aussi
extrémiste que la définition du fascisme, c’est à dire « un régime
politique qui considère que ses idées doivent s’imposer à toute la société »
non seulement à l’échelle collective mais aussi à l’échelle individuelle ?
Comment aujourd’hui faire en sorte de ne plus nous faire duper sur le véritable sens des mots présentés dans le débat politique ? Les médias ont un telle omniprésence dans nos vies qu’il est bien difficile de ne pas être victime de ce détournement sémantique. Nous vivons à l’ère du numérique, de l’immédiateté, nous voulons tout savoir, n’importe quand, n’importe où et cela la classe médiatique des journaux d’informations officiels sait l'utiliser à son profit.
L’information quotidienne constitue une vraie arme de
subordination de l’individu à une idéologie donnée. Bon nombre de recherches et
d’essais ont été publiés sur la faculté des grands médias, possédés en majeure
partie par des grands magnats du capitalisme moderne, d’influer sur notre
pensée. Le livre « les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi ou
« la violence des riches » des époux Pincon-Charlot en constituent une saisissante illustration. Par conséquent, comment faire pour nous soustraire à
ce vicieux procédé ?
La solution est simple : la
décolonisation de nos esprits, c'est à dire d'arrêter de penser en grande partie par rapport à ce que nous rabâchent quotidiennement les médias de masse. Elle suppose la diversité des sources d'informations dans leur typologie qu'elles soient journalistiques, politiques, universitaires, partisanes, etc. Elle ne peut s’opérer que par la curiosité à
notre monde, à la culture, et non pas seulement celle qui à attrait à notre
idée des choses mais aussi celle qui en est l’exact opposée. Une lecture
diversifiée reste un moyen extraordinaire d’émancipation pour celui qui entend
parvenir à une meilleure compréhension de son monde que ce soit à l’échelle
globale ou locale. Mais la lecture ne demeure pas l’unique moyen pour celui qui
cherche à assouvir cette ambition bien noble. Le débat politique en est l’autre,
si ce n’est, primordial moyen.
Il est souvent soulevé comme argument que l’individu
moyen issu des classes populaires n’est plus en capacité à proposer des idées
raisonnables né d’une réflexion tout aussi attentive. C’est un argument qui
n’est pas recevable. C’est une forme de mépris incroyable à l’égard
d’une majorité de nos concitoyens. Il suppose que seul le français, richement
diplômé, devrait être à même de pouvoir participer au débat politique et de
proposer ses idées. Les classes
populaires sont largement capables d’exprimer leurs idées rationnellement mais
elles sont aujourd’hui désintéressées, par lassitude, du débat politique. Plus
largement, le débat citoyen, on l’a vu, a décliné au cours de ces trente
dernières années. Deux interlocuteurs politiques ne peuvent plus s’empêcher de se
conspuer mutuellement autrement que par un qualitatif se terminant par
« phobe » (europhobe, islamophobe, xénophobe…) ou « phile »
(europhile, islamophile, xénophile…). Les médias ont une immense responsabilité
dans cette régression qui touche non seulement notre pays mais aussi une
civilisation entière, la civilisation occidentale. A une information de
débat s’est substituée une information d’injonction animée à longueur de
semaine par des sondages et autres articles aux arguments rédhibitoires. En
plus que de retrouver le vrai sens de nos mots, ramenez le débat au sein de
l’information quotidienne devrait être le véritable défi auquel nous, le
peuple, devrions nous confronter. Christopher Lasch nous faisait remarquer il y
déjà plus de vingt ans que maintenir avec fermeté que "le débat est l’essence de
l’éducation [c’est défendre] la démocratie comme la forme de gouvernement (…)
la plus éducative, telle qu’elle étend aussi largement que possible le cercle
de la discussion et oblige ainsi tous les citoyens à articuler leurs
conceptions, à les mettre en danger et à cultiver les vertus de l’éloquence, de
la clarté de pensée et d’expression,, du jugement solide. ».
Abraham Lincoln, le rural lecteur...Peinture de Eastman Johnson.