vendredi 7 avril 2017

L’affaire Jacqueline Sauvage : la vengeance du second sexe.


L’affaire Jacqueline Sauvage avait été évoquée durant un repas auquel je participais. Je remarquais à table que les hommes restaient prudemment silencieux pendant que les femmes s’exclamaient avec indignation du sort qui avait été réservé par les juges à Jacqueline Sauvage durant tout ce processus judiciaire. Les arguments pour justifier la sévérité des juges allaient du soit disant machisme des magistrats jusqu’au prétendu caractère réactionnaire de la justice. C’est à croire d’ailleurs que les jurés n’existaient pas dans cette affaire... Je ne critique pas l’émotion populaire qu’a suscité cette affaire, "elle est légitime, elle est voir même nécessaire" comme l’aimait à le rappeler l’avocat pénaliste Jacques Vergès. Pourtant, et particulièrement concernent le domaine judiciaire, on peut malheureusement constater qu’une partie de cette émotion s’égare dans des propos qui relèvent davantage d’une position strictement idéologique que d’un constat a minima objectif.

Le féminisme contemporain reluit dans cette affaire. Les militantes ont eu l’occasion de brader leurs slogans habituels allant du "Je suis Jacqueline Sauvage" au "Libérez Jacqueline de la justice patriarcale". Tous les juges ne seraient en fait que des aristocrates pachas, ventripotents, et davantage soucieux à prononcer de lourdes peines à l’encontre d’une présumée innocente qu’à condamner tout aussi lourdement les délinquants sexuels. Pourtant les juges sont avant tout des légalistes qui, en théorie je le concède, se méfie d’eux-mêmes avant de se méfier de l’accusé qu’ils ont en face d’eux. Et pourtant à l’heure ou le discours de la femme battue est largement écouté et entendu, les cours d’assise et les juges d’exécution des peines ont fait preuve d’une certaine mais non moins justifiée sévérité à l’égard de Jacqueline Sauvage. C’est que, contrairement à ce que le baratin médiatique nous a laissé entendre sur cette affaire, Jacqueline Sauvage avait bien des charges contre elle ; et la légitime défense "différée" plaidée par ses avocates n’y change rien.

Rappel des faits :


Maître Eolas a synthétisé les faits de l’affaire dans un article « De grâce » que je me permets de résumer encore davantage . Le 10 septembre 2012 Jacqueline Sauvage tue son Mari, Norbert Marot, lui tournant le dos, par trois coups de fusil de chasse. Elle est entendue par la police qui l’entendra justifier ce meurtre par les 47 ans de calvaire que lui avait fait vivre son défunt époux, témoignages de ses filles à l’appui. Elle passe devant la cour d’assises en octobre 2014 et sera déclarée coupable de meurtre aggravé et condamnée à 10 ans de prison ferme. Elle a ensuite fait appel mais la juridiction compétente a confirmer par un arrêt du 4 décembre 2015 le jugement de la cour d’assise aussi bien en ce qui concerne la peine que la condamnation. Toute cette affaire a provoqué la colère des milieux féministes et l’indignation médiatique qui ont présenté, pour justifier le geste de Mme Sauvage, davantage d’excuses qu’elles ne pouvaient réellement en présenter.

Les milieux féministes et Jacqueline Sauvage : une illustration du nouveau rapport entre le sexe masculin et le sexe féminin :


Maître Eolas poursuit l’analyse du dossier sur son blog. Oui, il est vrai que Mme sauvage semble avoir subit les pires sévices par son défunt mari. Oui, il est vrai que ses filles ont témoigné ensemble au sujet de viols incestueux qu’aurait commis leur propre père à leur encontre.

Mais il est tout aussi vrai qu’il n’a été constaté aucune trace dans le sang des somnifères que Mme sauvage prétendait pourtant avoir pris, que l’heure des faits ne correspond pas aux témoignages recueillis, et que les violences qu’elle prétendait avoir subie n’ont pas été attestées pendant l’examen médical. De plus les petits-enfants, pas plus que les voisins, n’ont jamais été témoins d’une quelconque violence de la part de Norbert Marot contre sa compagne.

En outre, l’image d’une femme trop apeurée pour porter plainte contre son mari ne correspond pas non plus aux faits. Effectivement, Madame Sauvage avait déjà poursuivi une maîtresse de son mari se réfugiant dans une gendarmerie pour appeler à l’aide en plus d'être décrite comme autoritaire et réfractaire à l’autorité des autres par l’administration pénitentiaire. Aussi un témoin a-t-il déclaré devant le juge l’avoir vu gifler son mari.  Bref, nous sommes loin de l’image que les médias ou les associations féministes ont entendu donner de Mme Sauvage…

Pourquoi alors nous a-t-on systématiquement servi un discours formaté consistant à opposer une sainte martyre contre un diable plus diabolique que Belzébuth ? A mon sens, ce genre d’entreprise ne relève pas seulement du débat judiciaire  mais aussi du débat social. Depuis la libéralisation des mœurs dans les années soixante - dont la révolte de mai 68 sera un catalyseur - le discours sur le rapport entre l’homme et la femme a substantiellement changé. L’heure de la femme libérée avait sonné, le temps de la femme à amants était venu, et l’époque du sexe féminin désentravé venait de naître. Le modèle de la famille patriarcale était, quant à lui, en voie d'extinction. La virilité était remise au placard ou au pire dénigrée. Bref, le sexe masculin était à son tour diabolisé comme le sexe féminin le fût tout au long du XIXème siécle. Quarante plus tard il est ressortit de tout cela une propension médiatique mais aussi sociologique à vouloir systématiquement présenté l’homme comme un mâle aux bas-instincts, un goujat, un pacha, un "macho", comme il est de coutume de s’indigner aujourd’hui. C’est ce processus qui explique aujourd’hui le discours hypocrite occultant les méfaits que la sainte Jacqueline Sauvage entretient pourtant à sa charge tout en stigmatisant le comportement de son défunt mari.


Les juges sont des légalistes :


"Les juges entretiennent une justice patriarcale" : voici un des autres arguments que l’on a pu entendre de la part des associations féministes au sujet de l’affaire. Mais c’est ici entretenir l’idée que les magistrats seraient tous d’affreux idéologues patriarcaux. Mais ne sont ils pas avant tout des légalistes, c'est-à-dire des hommes et femmes qui n’exercent leur métier qu’aux yeux des normes existantes et uniquement au service de la justice ?

Pourtant qu’il ne faut pas non plus être obnubilé par le discours légaliste. Maitre Eolas présentait l’argument des juges légalistes à propos des affaires politco-judiciaires qu'ils sont chargés d'élucider. J’entretiendrai toujours un doute face à ce raisonnement. Le célèbre procureur Eric de Montgolfier  estimait que les juges sont avant tout prisonniers de leur propre personne avant d’être des idéologues. Il est vrai que la magistrature constitue l’un des métiers les plus exigeant au monde. Imaginez-vous juger un crime que vous portez en horreur ? Imaginez-vous à entretenir par l’esprit la distance nécessaire pour juger un forfait avec toute l’impartialité indispensable ? C’est pourtant en théorie le quotidien des gens de justice.

Mais ne peut-on raisonnablement suggéré que le magistrat est davantage un politique, au sens où il  préfère répondre avant tout à ses convictions politiques qu’à ses fonctions de légalistes, lorsqu’il met en examen un homme ou une femme politique ? Pour illustration, doit-on s’imaginer naïvement qu’un procureur, adhérent aux idées d’un tel parti, poursuivrait un opposant politique sur le seul fondement de la loi et non sur la base d’un opportunisme idéologique ? Pour ma part je préfère opérer une distinction entre deux sortes d’affaires : les affaires communes et les affaire politiques. Ainsi le juge revêt certainement la casquette d’un légaliste pour les premières et celle d’un politique pour les secondes.

Aussi l’affaire Jacqueline Sauvage était-elle avant tout une affaire commune. Contrairement à l’idée qu’a entretenue la mobilisation médiatique et associative, les magistrats voient des exemples de Jacqueline Sauvage tout le long de leur carrière. Eric de Montgolfier témoignait des innombrables justiciables reçus dans son bureau en audience. Ceux-ci avait commis un innommable forfait et pourtant sans l’excuser « que d’explications au forfait qu’ils avaient commis ». Pourtant vous pouvez comprendre un crime en tant qu’homme mais vous ne pouvez le tolérer en tant que légaliste. C’est exactement ce qu’il s’est passé pour Jacqueline Sauvage. Certes sont crime était explicable, mais non excusable au regard du droit pénal. C’est ce qui explique la sévérité des juges mais surtout, on l’a souvent occulté, des jurés qui ont condamné madame Sauvage et confirmé sa peine.


Le procureur Eric de Montgolfier : un grand magistrat.


La légitime défense « différée » : le meurtre justifié de l’affreux mâle :


Abordons le droit. Les avocates de Mme Sauvage ont plaidé la légitime défense différée. Elle a été présentée, pour assouvir les instincts des milieux féministes, comme une arme légitime contre la maltraitance masculine. J’ai été ébahi de voir à quel point des féministes pouvaient défendre, au travers de ce concept fumeux, le meurtre légal à l’état pur.

La légitime défense se caractérise par sa… légitimité. Cette légitimité s’incarne dans son régime, présenté à l’article 122-5 du code pénal, et qui se caractérise par la constitution de trois critères très sévèrement appréciés par le juge pénal : la proportionnalité de la défense, sa nécessité, mais surtout, et c’est sur celui-ci que les avocates ont entendu discuter, son instantanéité. Concernant la proportionnalité le juge a eu l’occasion de considérer que cette condition n’était pas remplie concernant celui qui, après avoir arrêté dans leur fuite,  en tirant sur eux, deux individus qui s’étaient introduits sur son terrain, les frappe à coup de crosse et de gourdin et les attache à un arbre. Dans les faits de notre affaire, comment défendre  que les trois coups de feu tiré par Jacqueline Sauvage contre son mari constituait une défense proportionnée même au regard de l’éventuelle maltraitance qu’elle venait de subir juste avant ? Ensuite, l’article 122-5 du codé pénal énonce que la riposte doit être "commandée par la nécessité". Ici encore, pas besoin de s’appeler Eric Dupond Moretti pour reconnaître que cette condition n’était pas remplie en l’espèce. Enfin, l’instantanéité signifie que la défense doit avoir lieu dans le même temps que l'agression. A  ce sujet la Cour d’appel d’Amiens avait jugé dans un arrêt du 23 février 1965 que la légitime défense préventive ne saurait, en principe être admise, qu’à la seule condition d’une attaque future et certaine. Or, a considérer que Jacqueline Sauvage pouvait prévenir une attaque certaine de son mari, les deux autres conditions n’auraient, quoi qu’il en soit, jamais été remplies aux yeux du juge pénal.




J’ai donc du mal à comprendre la posture des avocates de Madame Sauvage cherchant à promouvoir une "légitime défense différée" qui ne sert finalement qu’à légitimer une meurtre pur et simple, si ce n’est un assassinat. Mais n’ont-elles pas préféré, à un comportement professionnel, une posture médiatique pour plaire aux lubies féministes et médiatiques ?

Jacqueline sauvage : graciée mais toujours coupable :


Après des mois de péripéties judiciaires, ça y est, Jacqueline Sauvage est graciée. On se souviendra pourtant qu’en premier lieu François Hollande avait préféré prononcer une grâce partielle qui, ayant pour effet d’effacer la période de sûreté de la peine, devait probablement amener le  juge de l’exécution des peines à prononcer une libération conditionnelle ; ce à quoi celui-ci n’a finalement pas donné suite. Or, le juge avait ses raisons de refuser cette libération : d’une part, Jacqueline Sauvage avait déjà purgé une grande partie de sa peine en détention préventive (le procureur avait rappelé aux jurés qu’elle devait sortir en janvier 2017), et d’autre part, son absence de remords et son tempérament agressif à l’égard du personnel pénitentiaire. Par la suite, les fêtes de fin d’année approchant, Hollande, en bon monarque présidentiel de la Vème République, utilisa à nouveau son pouvoir de grâce pour cette fois-ci soustraire entièrement Mme Sauvage à l’exécution du reste de sa peine.

Mais qu’est ce que la  grâce au juste ? Elle est un moyen dont dispose le Président de la République pour dispenser un condamné d’exécuter tout ou partie de la peine prononcée par le juge ou pour y substituer une peine moins lourde. Le Président de la République tire cette importante prérogative de l’article 17 de la Constitution. Ce droit du président peut bénéficier à tout condamné, peut s’appliquer à toutes les peines, peut être totale pou partielle, et peut-être pure et simple ou conditionnel. C’est ce dernier critère, celui de la conditionnalité qu’a choisit François Hollande pour la première grâce qu’il avait décrété en faveur de Jacqueline Sauvage : il proposait au juge de l’exécution des peines d’examiner sa demande de libération conditionnelle avant la date initialement prévue par la fin de la période de sûreté. Le résultat de la grâce était donc subordonné à l’examen du juge et non à la seule volonté du Président. Au contraire, en décembre, la grâce de Jacqueline fut pure et simple : François Hollande la dispensa d’exécuter le reste de sa peine.


Saint Louis rendant la justice sous le chêne.

Mais Jacqueline Sauvage est toujours considérée comme coupable. Une grâce ne fait qu’éteindre l’exécution d’une peine et ne rend pas pour autant le bénéficiaire de la grâce non coupable du crime qu’il a commis. C’est à cet effet que l’article 133-7 du code pénal précise que "la grâce emporte seulement dispense d’exécuter la peine". La condamnation reste inscrite au casier judiciaire, compte toujours pour la récidive, et constitue un obstacle potentiel au sursis. Si Jacqueline Sauvage souhaitait rétablir son innocence dans l’histoire judiciaire il lui faudrait passer par la voie de la réhabilitation. Mais ses avocates savent que ce chemin ne mènerait à rien. Elles ont pleinement conscience de l’inéducable culpabilité de leur cliente qu’elles ont cherché à cacher d’une part par leur fumisterie juridique de la "légitime défense différée", et d’autre part par des discours féministes qui en appelaient, comme cela fait maintenant bientôt 50 ans, à la vengeance des femmes contre le sexe masculin, forcément oppresseur, dictatorial et coupable. A ce propos on se souviendra des paroles de Jacques Vergès : "On ne changera jamais la vengeance en justice mais on rabaisse la justice en vengeance".