L’affaire Jacqueline Sauvage : la vengeance du second sexe.
L’affaire Jacqueline Sauvage
avait été évoquée durant un repas auquel je participais. Je remarquais à table
que les hommes restaient prudemment silencieux pendant que les femmes
s’exclamaient avec indignation du sort qui avait été réservé par les juges à
Jacqueline Sauvage durant tout ce processus judiciaire. Les arguments pour
justifier la sévérité des juges allaient du soit disant machisme des magistrats jusqu’au prétendu caractère réactionnaire de la justice. C’est à croire d’ailleurs
que les jurés n’existaient pas dans cette affaire... Je ne critique pas
l’émotion populaire qu’a suscité cette affaire, "elle est légitime, elle est
voir même nécessaire" comme l’aimait à le rappeler l’avocat pénaliste Jacques
Vergès. Pourtant, et particulièrement concernent le domaine judiciaire, on peut
malheureusement constater qu’une partie de cette émotion s’égare dans des
propos qui relèvent davantage d’une position strictement idéologique que d’un
constat a minima objectif.
Le féminisme contemporain reluit
dans cette affaire. Les militantes ont eu l’occasion de brader leurs slogans
habituels allant du "Je suis Jacqueline Sauvage" au "Libérez
Jacqueline de la justice patriarcale". Tous les juges ne seraient en fait
que des aristocrates pachas, ventripotents, et davantage soucieux à prononcer
de lourdes peines à l’encontre d’une présumée innocente qu’à condamner tout
aussi lourdement les délinquants sexuels. Pourtant les juges sont avant tout
des légalistes qui, en théorie je le concède, se méfie d’eux-mêmes avant de se
méfier de l’accusé qu’ils ont en face d’eux. Et pourtant à l’heure ou le
discours de la femme battue est largement écouté et entendu, les cours d’assise
et les juges d’exécution des peines ont fait preuve d’une certaine mais non
moins justifiée sévérité à l’égard de Jacqueline Sauvage. C’est que,
contrairement à ce que le baratin médiatique nous a laissé entendre sur cette
affaire, Jacqueline Sauvage avait bien des charges contre elle ; et la
légitime défense "différée" plaidée par ses avocates n’y change
rien.
Rappel des faits :
Maître Eolas a synthétisé les
faits de l’affaire dans un article « De grâce » que je me permets de résumer encore davantage . Le 10 septembre 2012 Jacqueline Sauvage
tue son Mari, Norbert Marot, lui tournant le dos, par trois coups de fusil de
chasse. Elle est entendue par la police qui l’entendra justifier ce meurtre par
les 47 ans de calvaire que lui avait fait vivre son défunt époux, témoignages de
ses filles à l’appui. Elle passe devant la cour d’assises en octobre 2014 et
sera déclarée coupable de meurtre aggravé et condamnée à 10 ans de prison
ferme. Elle a ensuite fait appel mais la juridiction compétente a confirmer par
un arrêt du 4 décembre 2015 le jugement de la cour d’assise aussi bien en ce
qui concerne la peine que la condamnation. Toute cette affaire a provoqué la
colère des milieux féministes et l’indignation médiatique qui ont présenté, pour
justifier le geste de Mme Sauvage, davantage d’excuses qu’elles ne pouvaient réellement en
présenter.
Les milieux féministes et Jacqueline Sauvage : une illustration du nouveau rapport entre le sexe masculin et le sexe féminin :
Maître Eolas poursuit l’analyse
du dossier sur son blog. Oui, il est vrai que Mme sauvage semble avoir subit les pires sévices par son défunt mari. Oui, il est vrai que ses filles ont
témoigné ensemble au sujet de viols incestueux qu’aurait commis leur propre
père à leur encontre.
Mais il est tout aussi vrai qu’il
n’a été constaté aucune trace dans le sang des somnifères que Mme sauvage
prétendait pourtant avoir pris, que l’heure des faits ne correspond pas aux
témoignages recueillis, et que les violences qu’elle prétendait avoir subie
n’ont pas été attestées pendant l’examen médical. De plus les petits-enfants,
pas plus que les voisins, n’ont jamais été témoins d’une quelconque violence
de la part de Norbert Marot contre sa compagne.
En outre, l’image d’une femme
trop apeurée pour porter plainte contre son mari ne correspond pas non plus aux
faits. Effectivement, Madame Sauvage avait déjà poursuivi une maîtresse de son mari se réfugiant
dans une gendarmerie pour appeler à l’aide en plus d'être décrite comme
autoritaire et réfractaire à l’autorité des autres par l’administration
pénitentiaire. Aussi un témoin a-t-il déclaré devant le juge l’avoir vu gifler
son mari. Bref, nous sommes loin de
l’image que les médias ou les associations féministes ont entendu donner de Mme
Sauvage…
Pourquoi alors nous a-t-on
systématiquement servi un discours formaté consistant à opposer une sainte martyre
contre un diable plus diabolique que Belzébuth ? A mon sens, ce genre
d’entreprise ne relève pas seulement du débat judiciaire mais aussi du
débat social. Depuis la libéralisation des mœurs dans les années soixante - dont la
révolte de mai 68 sera un catalyseur - le discours sur le rapport entre l’homme
et la femme a substantiellement changé. L’heure de la femme libérée avait
sonné, le temps de la femme à amants était venu, et l’époque du sexe féminin
désentravé venait de naître. Le modèle de la famille patriarcale était, quant à
lui, en voie d'extinction. La virilité était remise au placard ou au pire dénigrée. Bref, le
sexe masculin était à son tour diabolisé comme le sexe féminin le fût tout au long du XIXème siécle. Quarante plus tard il est ressortit
de tout cela une propension médiatique mais aussi sociologique à vouloir
systématiquement présenté l’homme comme un mâle aux bas-instincts, un goujat, un
pacha, un "macho", comme il est de coutume de s’indigner
aujourd’hui. C’est ce processus qui explique aujourd’hui le discours hypocrite occultant
les méfaits que la sainte Jacqueline Sauvage entretient pourtant à sa charge
tout en stigmatisant le comportement de son défunt mari.
Les juges sont des légalistes :
"Les juges entretiennent
une justice patriarcale" : voici un des autres arguments que l’on a
pu entendre de la part des associations féministes au sujet de l’affaire. Mais
c’est ici entretenir l’idée que les magistrats seraient tous d’affreux
idéologues patriarcaux. Mais ne sont ils pas avant tout des légalistes,
c'est-à-dire des hommes et femmes qui n’exercent leur métier qu’aux yeux des
normes existantes et uniquement au service de la justice ?
Pourtant qu’il ne faut pas non plus être obnubilé par le discours légaliste. Maitre Eolas présentait l’argument des juges légalistes à propos des affaires politco-judiciaires qu'ils sont chargés d'élucider. J’entretiendrai toujours un doute face à ce raisonnement. Le célèbre procureur Eric de Montgolfier estimait que les juges sont avant tout prisonniers de leur propre personne avant d’être des idéologues. Il est vrai que la magistrature constitue l’un des métiers les plus exigeant au monde. Imaginez-vous juger un crime que vous portez en horreur ? Imaginez-vous à entretenir par l’esprit la distance nécessaire pour juger un forfait avec toute l’impartialité indispensable ? C’est pourtant en théorie le quotidien des gens de justice.
Mais ne peut-on raisonnablement
suggéré que le magistrat est davantage un politique, au sens où il préfère répondre avant tout à ses convictions
politiques qu’à ses fonctions de légalistes, lorsqu’il met en examen un homme
ou une femme politique ? Pour illustration, doit-on s’imaginer naïvement
qu’un procureur, adhérent aux idées d’un tel parti, poursuivrait un opposant
politique sur le seul fondement de la loi et non sur la base d’un opportunisme
idéologique ? Pour ma part je préfère opérer une distinction entre deux
sortes d’affaires : les affaires communes et les affaire politiques. Ainsi le juge revêt certainement la casquette d’un légaliste pour les premières et celle d’un
politique pour les secondes.
Aussi l’affaire Jacqueline Sauvage
était-elle avant tout une affaire commune. Contrairement à l’idée qu’a
entretenue la mobilisation médiatique et associative, les magistrats voient des
exemples de Jacqueline Sauvage tout le long de leur carrière. Eric de
Montgolfier témoignait des innombrables justiciables reçus dans son bureau en
audience. Ceux-ci avait commis un innommable forfait et pourtant sans l’excuser
« que d’explications au forfait qu’ils avaient commis ». Pourtant
vous pouvez comprendre un crime en tant qu’homme mais vous ne pouvez le tolérer
en tant que légaliste. C’est exactement ce qu’il s’est passé pour Jacqueline
Sauvage. Certes sont crime était explicable, mais non excusable au regard du
droit pénal. C’est ce qui explique la sévérité des juges mais surtout, on l’a
souvent occulté, des jurés qui ont condamné madame Sauvage et confirmé sa
peine.
Le procureur Eric de Montgolfier : un grand magistrat.
La légitime défense « différée » : le meurtre justifié de l’affreux mâle :
Abordons le droit. Les avocates
de Mme Sauvage ont plaidé la légitime défense différée. Elle a été présentée,
pour assouvir les instincts des milieux féministes, comme une arme légitime
contre la maltraitance masculine. J’ai été ébahi de voir à quel point des féministes
pouvaient défendre, au travers de ce concept fumeux, le meurtre légal à l’état
pur.
La légitime défense se
caractérise par sa… légitimité. Cette légitimité s’incarne dans son régime,
présenté à l’article 122-5 du code pénal, et qui se caractérise par la
constitution de trois critères très sévèrement appréciés par le juge
pénal : la proportionnalité de la défense, sa nécessité, mais surtout, et
c’est sur celui-ci que les avocates ont entendu discuter, son instantanéité.
Concernant la proportionnalité le juge a eu l’occasion de considérer que cette
condition n’était pas remplie concernant celui qui, après avoir arrêté dans
leur fuite, en tirant sur eux, deux
individus qui s’étaient introduits sur son terrain, les frappe à coup de crosse
et de gourdin et les attache à un arbre. Dans les faits de notre affaire,
comment défendre que les trois coups de
feu tiré par Jacqueline Sauvage contre son mari constituait une défense
proportionnée même au regard de l’éventuelle maltraitance qu’elle venait de
subir juste avant ? Ensuite, l’article 122-5 du codé pénal énonce que la
riposte doit être "commandée par la nécessité". Ici encore, pas
besoin de s’appeler Eric Dupond Moretti pour reconnaître que cette condition
n’était pas remplie en l’espèce. Enfin, l’instantanéité signifie que la défense
doit avoir lieu dans le même temps que l'agression. A ce
sujet la Cour d’appel d’Amiens avait jugé dans un arrêt du 23 février 1965 que
la légitime défense préventive ne saurait, en principe être admise, qu’à la
seule condition d’une attaque future et certaine. Or, a considérer que
Jacqueline Sauvage pouvait prévenir une attaque certaine de son mari, les deux
autres conditions n’auraient, quoi qu’il en soit, jamais été remplies aux yeux
du juge pénal.
J’ai donc du mal à comprendre la posture
des avocates de Madame Sauvage cherchant à promouvoir une "légitime
défense différée" qui ne sert finalement qu’à légitimer une meurtre
pur et simple, si ce n’est un assassinat. Mais n’ont-elles pas préféré, à un
comportement professionnel, une posture médiatique pour plaire aux lubies
féministes et médiatiques ?
Jacqueline sauvage : graciée mais toujours coupable :
Après des mois de péripéties
judiciaires, ça y est, Jacqueline Sauvage est graciée. On se souviendra pourtant
qu’en premier lieu François Hollande avait préféré prononcer une grâce
partielle qui, ayant pour effet d’effacer la période de sûreté de la peine,
devait probablement amener le juge de
l’exécution des peines à prononcer une libération conditionnelle ; ce à
quoi celui-ci n’a finalement pas donné suite. Or, le juge avait ses raisons de
refuser cette libération : d’une part, Jacqueline Sauvage avait déjà purgé
une grande partie de sa peine en détention préventive (le procureur avait
rappelé aux jurés qu’elle devait sortir en janvier 2017), et d’autre part, son
absence de remords et son tempérament agressif à l’égard du personnel
pénitentiaire. Par la suite, les fêtes de fin d’année approchant, Hollande, en
bon monarque présidentiel de la Vème République, utilisa à nouveau son pouvoir de grâce pour
cette fois-ci soustraire entièrement Mme Sauvage à l’exécution du reste de sa
peine.
Mais qu’est ce que la grâce au juste ? Elle est un moyen dont
dispose le Président de la République pour dispenser un condamné d’exécuter
tout ou partie de la peine prononcée par le juge ou pour y substituer une peine
moins lourde. Le Président de la République tire cette importante prérogative
de l’article 17 de la Constitution. Ce droit du président peut bénéficier à
tout condamné, peut s’appliquer à toutes les peines, peut être totale pou
partielle, et peut-être pure et simple ou conditionnel. C’est ce dernier
critère, celui de la conditionnalité qu’a choisit François Hollande pour la
première grâce qu’il avait décrété en faveur de Jacqueline Sauvage : il
proposait au juge de l’exécution des peines d’examiner sa demande de libération
conditionnelle avant la date initialement prévue par la fin de la période de
sûreté. Le résultat de la grâce était donc subordonné à l’examen du juge et non
à la seule volonté du Président. Au contraire, en décembre, la grâce de
Jacqueline fut pure et simple : François Hollande la dispensa d’exécuter
le reste de sa peine.
Saint Louis rendant la justice sous le chêne.
Mais Jacqueline Sauvage est toujours
considérée comme coupable. Une grâce ne fait qu’éteindre l’exécution d’une
peine et ne rend pas pour autant le bénéficiaire de la grâce non coupable du
crime qu’il a commis. C’est à cet effet que l’article 133-7 du code pénal
précise que "la grâce emporte seulement dispense d’exécuter la
peine". La condamnation reste inscrite au casier judiciaire, compte
toujours pour la récidive, et constitue un obstacle potentiel au sursis. Si
Jacqueline Sauvage souhaitait rétablir son innocence dans l’histoire judiciaire
il lui faudrait passer par la voie de la réhabilitation. Mais ses avocates
savent que ce chemin ne mènerait à rien. Elles ont pleinement conscience de
l’inéducable culpabilité de leur cliente qu’elles ont cherché à cacher d’une
part par leur fumisterie juridique de la "légitime défense différée",
et d’autre part par des discours féministes qui en appelaient, comme cela fait
maintenant bientôt 50 ans, à la vengeance des femmes contre le sexe masculin,
forcément oppresseur, dictatorial et coupable. A ce propos on se souviendra des
paroles de Jacques Vergès : "On ne changera jamais la vengeance en
justice mais on rabaisse la justice en vengeance".